Si j’ai bien compris, il y a un problème avec les frontières en Europe. Certains veulent les fermer pour que chacun reste dans sa propre merde quoique ça paraisse être la même dans tout le continent. D’autant que, en les supprimant, on a multiplié ces frontières dont se gaussent aussi les nuages radioactifs : celle du quartier, celle de la communauté, celle du pavillon. Ce qui compte, c’est se retrouver entre soi, les amateurs de jus de carotte, les supporteurs du Barça, les défenseurs de la démocratie. Il y a un paradoxe du chauvinisme. L’Europe naissante l’avait fait un peu reculer alors qu’il resurgit dès qu’il y a moins de raisons d’être satisfait de sa nationalité. Le chauvinisme, c’est ce qui reste quand tout va mal. D’ailleurs, tout le monde le dit : il n’y a pas que la Belgique à être victime des attentats de Bruxelles, c’est l’Europe entière, c’est tout le monde libre - signe que ceux-ci ne sont pas au meilleur de leur forme.
Dans un registre moins dramatique, on peut s'interroger sur ce qu'est le passage de la frontière, le franchissement de la limite, pour les hommes politiques. Il n'y a pas, comme dans le football, la goal technology qui permet de savoir immédiatement si le ballon a ou non passé entièrement la ligne. Il est vrai que, en termes de justice, la rapidité de l'arbitrage n'est pas une priorité. Si le lecteur (ou la lectrice) avait la possibilité d'entrer dans la clandestinité à bon compte via une nouvelle identité, choisirait-il ou elle le nom de Paul(e) Bismuth ? Ne pencherait-on pas pour quelque chose de plus romanesque (outre que ce n'est pas flatteur pour tous les Paul Bismuth qui se voient renvoyés au rang de symbole de l'anonymat) ? Zorro des Bois ? Iseut de Clèves ? Zénon 007 ? En plus, la décision de la Cour de cassation contre l'ancien président est mal tombée pour Nicolas Sarkozy qui pouvait difficilement opter pour la victimisation à outrance le jour des attentats de Bruxelles. Il semble en tout cas que la fréquentation assidue des palais de justice ne soit pas aux «Républicains» une frontière empêchant de diriger et représenter le parti. D'un autre côté, Nicolas Sarkozy en campagne pourrait arguer que, lui, il a des idées très précises sur ce qu'il faut faire pour réformer la justice et les juges. Les grands malades ont souvent beaucoup à enseigner aux grands médecins.
Il est difficile également de déterminer la frontière entre la critique non dénuée d'un certain manque de tact et l'insulte pure et simple. Qui, avec des amis devant la télévision, n'a pas, en plein match, déversé des tombereaux d'injures sur l'arbitre qui n'a pas sifflé (ou qui a sifflé), exprimé sa pensée d'un instant par des mots fustigeant l'autre enculé qui n'a pas été foutu de reprendre la passe (ou qui en a été fichu), qui n'a jamais dit «mais sortez-le, ce con» (que ce soit du foot ou une émission politique) ? Si on n'a plus le droit de vanner. Serge Aurier a bien sûr dépassé les bornes et les frontières en traitant publiquement - que ne s'est-il contenté de partager ce sentiment avec de simples amis - son entraîneur de «fiotte».
Si j’ai bien compris, il y a une frontière que (presque) personne ne met en cause : celle qui sépare le tolérable de l’intolérable.