Menu
Libération
Chronique «Ré/Jouissances »

Ben Arfa, talent foot retrouvé et oublié

Ce génie du jeu qui vient de réaliser un come-back solo est tenu en réserve des Bleus. Ce qui, paradoxe, profite à sa cote de sympathie.
publié le 16 mai 2016 à 19h51

Il a la proscription souriante, la mise au ban compréhensive, la tenue en lisière fataliste. Malgré une saison somptueuse, Hatem Ben Arfa ne fait pas partie des 23 joueurs retenus par Didier Deschamps pour l’Euro 2016. Peu rancunier, il a accepté de se tenir en réserve de la république du foot et de se priver de vacances pour donner la réplique à des sélectionnés dont le talent ne lui arrive pas forcément à la cheville. Certains pourraient vivre cette relégation comme une humiliation. Mais Ben Arfa revient de si loin qu’il dévale les montagnes russes de son itinéraire tourmenté avec une fraîcheur savoureuse et un ahurissement charmant qui change des stratégies mutiques aux sourcils froncés et aux prudences calibrées. Ce faisant, Ben Arfa endosse des panoplies de plus en plus appréciées par les foules sentimentales qui préfèrent le perdant magnifique aux vainqueurs ergoteurs, l’égoïste déviant aux bons petits soldats du collectif, l’indiscipliné tourmenté aux crânes d’obus obéissants. Inventaire du vestiaire de sa personnalité, par temps de narcissisme psychologisant.

Le génie gâché

Le gamin né à Clamart (Hauts-de-Seine) est un enfant prodige du ballon qui a réussi à dilapider son invraisemblable potentiel. Les petits Mozart énervent jusqu’au moment où leurs dons roulent dans le caniveau. Et ils émeuvent quand on les découvre accroupis sur le macadam luisant de pluie et maculé de vomi, tentant de ramasser les osselets de leur génie, échappés à leur poignet tremblant. C’est comme s’il y avait une prime au gâchis trop humain de ce don inhumain.

Ben Arfa ne s'est pas noyé dans l'alcool comme George Best. Il n'a pas dû tenir en respect la Camorra après s'être perforé les narines de cocaïne comme Maradona. Disons plutôt, même si cela paraît surprenant pour les beaux esprits qui prennent toujours les footeux pour des bourrins bas du casque, que Ben Arfa a dû affronter des angoisses existentielles et des doutes quasi métaphysiques. Parti en centre de formation à 12 ans, il a oscillé entre incertitudes familiales et insécurité identitaire, bravade envers l'autorité et recherche d'un tuteur qu'il brisait en menus morceaux dès qu'il pensait l'avoir trouvé. Il est allé voir du côté du soufisme mais s'est offusqué de devoir s'agenouiller devant un maître recommandé par un rappeur connu. Il a tenté de fréquenter Nietzsche et Spinoza, qui ne sont pas des mauvais choix même si l'accès en est parfois ardu.

Le come-back kid

Le perdu de vue qui, l’âge venu, revient, en mercenaire de sa propre cause, régler les comptes avec son passé est une figure symbolique chérie par l’Amérique. La France, elle, se pâme moins facilement pour les itinéraires bipolaires. Elle préfère le panache maintenu d’un D’Artagnan ou la domination fatale de Platini ou de Zidane jusqu’à la chute finale, coup de Jarnac financier ou coup de boule énervé. Reste que le sport inventé par les Anglais est devenu une tanière à come-back. Et que, sans jamais jouer les maudits, Ben Arfa en écrit un nouvel épisode. Les fées se penchent tôt sur le berceau du Franco-Tunisien. Les grands clubs européens le courtisent alors qu’il n’a pas trois poils au menton. Il n’a pas besoin de son BEP comptabilité pour voir la corne d’abondance se déverser. Sauf que, souvent, il se braque et brusque son monde. Il est capable de tout envoyer valser dans les bureaux ou les vestiaires. Ses coups de chaud tiennent de l’enfantillage. S’il est difficile de lui en vouloir car il a la repentance attendrissante, cela mine sa crédibilité. Ben Arfa est aussi sporadique dans ses réactions que dans son jeu. Ce qui fait sa force sur un terrain, le dessert en dehors. L’an dernier, pour des paperasses oubliées, il se retrouve interdit de terrain pendant six mois. Et voici qu’à 29 ans, il s’achète une sagesse et reverdit à Nice, entouré de jeunots et dirigé par un pédagogue. Validation de cette résurrection, c’est le FC Barcelone qui songe à l’associer à Messi.

Le soliste

Si Deschamps ne veut pas de Ben Arfa, c’est que sa partition est trop particulière, sa constance trop aléatoire et son brio trop fantasque. L’entraîneur français aime les piliers bien ouvragés, les bâtisseurs pierre à pierre ou les commandeurs qui restent de marbre. Ben Arfa n’a rien d’un Zlatan qui sadise ceux qui l’accompagnent, tatane qui lui résiste et organise la mise en scène de son départ du PSG pour faire oublier que c’est une éviction. Ben Arfa n’a rien d’un Benzema qui sait se mettre au diapason de ses partenaires et enfiler la chasuble de la dévotion aux autres, tout en n’en pensant pas moins. Ben Arfa est un soliste qui n’a pas la férocité d’un loup solitaire ni la solidité d’une base arrière, et encore moins la réserve d’un grabataire. D’où cette éviction qui dit son nom, mais témoigne aussi d’une peur de l’insolence et de l’inconscience.