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Libération
Chronique «Si j'ai bien compris»

On n’ira pas tous au paradis

Mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour mériter ça ? Telle est la question à laquelle l’Etat islamique veut à tout prix apporter sa réponse.

Publié le 17/06/2016 à 18h11

Si j’ai bien compris, l’Etat islamique (EI) se donne du mal pour n’être soutenu par personne. Au départ, le principe d’attentats sanglants ne provoquait déjà pas une adhésion considérable. Mais l’organisation terroriste semble mettre un point de déshonneur à frapper tous azimuts et à faire en sorte que ceux qui, sans naturellement les approuver, avaient plus facilement une explication compréhensive pour un carnage en aient plus difficilement pour le suivant (et réciproquement). L’attentat du Pulse, forme paroxystique du harcèlement sexuel, a suscité l’accablement de tous les soutiens LGBT, tandis que l’assassinat des policiers français devant leur enfant s’adressait à une autre couche de la population, même si, en fait, évidemment, l’ensemble de l’opinion publique a dû être horrifié à chaque fois. L’EI paraît en faveur de l’amalgame et du délit de sale gueule généralisé. C’est tous pourris, tous impurs. Telle est la façon dont l’organisation souhaite abreuver ses sillons et la maison mère, pourtant a priori la plus sectaire du monde, encourage l’auto-entrepreneuriat, une sorte d’ubérisation du terrorisme (les droits sociaux sont rarement la première préoccupation des kamikazes). Ce penchant libéral se retrouve également dans le recrutement : si l’EI est contre tout le monde et a tout le monde contre lui, paradoxalement, n’importe qui semble accepté dans ses rangs les bras ouverts. C’est comme dans un certain paradis qui ne fait pas forcément envie à tout le monde : hop, vous tuez les gens et c’est accès direct au carré VIP.

On n’a jamais fait une religion sans casser des œufs. C’est son anachronisme qu’on reproche à l’EI et d’autant plus que l’organisation est en outre dans l’air du temps, qu’elle sait jouer des médias avec encore plus d’efficacité que les inquisiteurs espagnols. Il y a, sinon un terrain d’entente, au moins un point commun entre les forces démocratiques et les forces des ténèbres, c’est la volonté de limiter les libertés. Pour la bonne cause, naturellement, qui a bon dos. On accuse l’EI d’avoir une mauvaise vision de l’islam - y en a-t-il une bonne, vraie, immaculée, vierge de toute interprétation, pure comme au premier jour lorsqu’elle est tombée du ciel ? - mais il y a peu de visions de l’islam (ou de la chrétienté ou du judaïsme) où les clubs gays sont recommandés. Sodome et Gomorrhe, ça ne s’est pas réglé non plus dans la rigolade. A un moment ou à un autre, la religion, faut que ça saigne. On peut regretter que l’Etat islamique ne soit pas assez sûr de lui pour attendre tranquillement que les braves gens viennent d’eux-mêmes par millions s’installer en famille dans les territoires qu’il contrôle pour y planter des oliviers et y faire leur miel.

Choisir une cible gigantesque (un pays entier si ce n’est une civilisation) permet certes de l’atteindre plus facilement (il n’y a pas de mauvais viseurs) mais cette stratégie a un revers pour ses promoteurs : elle peut créer une solidarité. On se sent plus proches les uns des autres quand on a chacun une cible sur le front et qu’on a compris que nul n’est protégé par sa religion, sa profession, sa couleur de peau ni ses goûts sexuels ou musicaux. Une ambition de l’EI est de faire regretter aux Européens les anciens dictateurs et se demander : la liberté des autres vaut-elle la nôtre ? Si j’ai bien compris, si c’était à refaire, les démocrates occidentaux soutiendraient avec encore moins de zèle les printemps arabes.