Au plus haut des cieux cérémonieux, au cœur de ce vide sidéral où ne niche aucune divinité, plane un avion silencieux qui en dit long sur le génie humain de cette espèce, la nôtre, qu’on finissait par croire suicidaire.
Solar Impulse 2 est cet aéronef solaire qui ne consomme rien, va très loin et perce les gros nuages emplis de découragement quand la notion de progrès semble si souvent battre de l’aile. Il vole sans carburant et son bilan carbone parfait est surtout un message adressé aux dévoreurs d’énergie qui peuvent enfin songer à se convertir à la sobriété sans pour autant abandonner tout espoir de mobilité.
L'éternel retour. Engagé dans un tour du monde censé faire la démonstration par l'exemple d'une philosophie de l'éternel retour, celle du renouvelable et du recyclable, Solar Impulse 2 a gagné un combat symbolique. Il vient de traverser l'Atlantique, entre l'Amérique et l'Europe, sur le parcours originel des pionniers de l'aviation qui est aussi la hotline du vieux monde développé.
Aux commandes, le psychiatre suisse Bertrand Piccard a mis 71 heures pour effectuer la liaison entre les deux continents. En 1927, Charles Lindbergh, lui, avait mis 33 heures mais avec le cockpit empli à ras bord de kérosène de rechange pour son moteur pétroleur. Gamin, Piccard avait assisté aux côtés du vétéran Lindbergh, au lancement d’une capsule Apollo depuis Cap Canaveral. Voici leurs solitudes de pionniers accolés dans des exploits jumeaux aux significations inversées.
L'anti-Concorde. Antithèse du Concorde à double bang des années 70, Solar Impulse 2 se déplace à bas bruit et à bas coût. Le supersonique avait des allures de héron cabré, dopé à l'agressivité des Trente Glorieuses. Le flâneur des temps décroissants ne dépasse pas le cent à l'heure. C'est un chameau autarcique qui bronze ses batteries de survie en nudiste stellaire.
Il est intéressant de noter que le projet ensoleillé a débuté le jour du dernier vol du bel oiseau de fer gaulliste. Comme il serait intéressant que cette libellule pataude qui a la même envergure qu’un Airbus mais pèse 250 fois moins fasse un «touch and go» à Notre-Dame-des-Landes pour raconter comment les équipements en béton armé paraîtront datés et pèseront le poids de leur inutilité à mesure que les «monte-en-l’air» vont se disperser en bulles de savon.
L'autonomie sous cloche. Les crispations identitaires actuelles font croire que chacun va camper sur son pré carré, sourcils froncés et fourche brandie en étendard. Et que bientôt le Royaume-Uni, peuple vogueur s'il en fut, ne sera plus qu'un archipel d'îlots barbelés, qu'un camp retranché de fortins hérissés. La proposition Piccard annonce plutôt une constellation d'étoiles filantes qui se déplaceront lentement au fil du temps, se laissant porter par les jet-streams au lieu de s'opposer au flux dominant. Comme les aérostiers, il faudra jeter du lest pour changer d'altitude et trouver des contre-courants. Ou, en surfeur, utiliser l'énergie de la vague pour la chevaucher et se contenter de l'enjoliver de sa signature d'écume. Il sera inutile de résister, de se braquer, de se fâcher. Il faudra composer. On pourra juste biaiser tout en se laissant porter, à moins de disparaître à la vue dans le tube de la déferlante. Solar Impulse 2 annonce sans doute la fin d'Icare, le brûleur d'ailes, de Prométhée, le cambrioleur de feu et de Vulcain, le forgeron de la dureté. On va vers un monde de nomadisme perpétuel et ralenti. Comme dans le Cinquième Elément, le film de Luc Besson, on verra se croiser des avions sans carburant, des voitures sans chauffeurs, des navettes fluviales, mais aussi des nacelles flottantes ou des couffins azotés pour bébés bulles, sans compter les licornes et les chimères.
La guerre élémentaire. La navigation de Solar Impulse 2 remet aussi à jour une évolution des rapports de force entre les quatre éléments qui n'aurait pas déplu à Henri Bergson. En France, ces temps-ci, l'air se raréfie et semble un peu le parent pauvre du quatuor. Les kalachs de la terreur religieuse crachent le feu comme la fée électricité allume en permanence, nuits comprises, les cités habitées. Les réfugiés pataugent dans l'eau salée comme les rivières montent à cru. La terre est labourée par les crampons de l'Euro et piétinée par les manifestants tournant en rond comme des chevaux dans l'enclos préfectoral.
Heureusement que, tout là-haut, ça respire un autre air et que ça rêve gazeux et sans gazoline. Il est d’ailleurs symptomatique qu’au moment où l’on réussit à voler réservoir vide, on puisse aussi marcher sur l’eau, sans se prendre pour un Christ aux pieds percés mais en suivant les routes maritimes imaginées par l’artiste Christo et peintes en jaune dahlia.