Si j’ai bien compris, les électeurs, les élus, les politiciens d’un camp et de l’autre, les partisans du pour et du contre et même de l’abstention, personne ne sait jamais exactement quel crédit il faut accorder à un vote, si ça compte pour du beurre ou pour de vrai. La semaine dernière, les Espagnols ont revoté simplement parce que leur vote précédent n’avait servi à rien, on s’est battu à coups de bulletins dans les alentours de Notre-Dame-des-Landes sans qu’on puisse jurer que ça ait fait avancer ou reculer d’un pouce l’aéroport et puis, surtout, il y a eu le Brexit et ses conséquences inattendues.
On avait tellement menacé les Grecs de les foutre dehors comme une punition pour n’en rien faire en définitive, malgré le référendum qu’ils avaient eux-mêmes organisé, que les Britanniques ne voyaient pas pourquoi, soudainement, leur vote à eux serait gravé dans le marbre, au contraire également de celui des Français sur la Constitution européenne. Et là-dessus voici que l’Europe, reprenant à sa manière Ray Charles et Richard Anthony, leur lance d’une manière qu’ils n’avaient pas anticipée : «Fiche le camp, Union Jack, et ne reviens plus jamais, jamais, jamais.» Sous prétexte qu’on a voté, on ne pourrait plus discuter ? C’est ça, maintenant, la démocratie ? Il faudrait fermer sa gueule pour l’unique raison que, pour une fois et sans prévenir, il a été tenu compte des bulletins mis dans l’urne ? Ça ne se passera pas comme ça, semblent considérer les Britanniques, ils ne laisseront pas la tyrannie du suffrage universel brider la liberté d’un royaume, de ses citoyens et de sa City.
De menace en menace, de Grexit en Brexit, on ne va pas éternellement jouer à l’Europe des chaises musicales. Il semble que les Anglais aient utilisé des procédés dont tout le monde a testé l’efficacité pour ranimer les relations chancelantes, l’indifférence proclamée et la rupture annoncée. «Est-ce que je ne suis pas plus exitante quand je m’en vais ?», «Allez, exite-moi si tu l’oses». Mais il y a toujours le risque d’être pris au mot. Les premières réactions des Anglais à leur propre référendum sont pain bénit dans toute l’Europe pour les partisans de l’Union, comme si les nouveaux sécessionnistes étaient soudain terrorisés par leur propre courage, qu’eux non plus ne savaient pas qu’on leur réclamait du courage pour de vrai et pas pour du beurre. Normalement, de simples proclamations et gesticulations suffisent à faire l’affaire, pourquoi tout à coup, idée neuve en Europe, les promesses engageraient-elles ceux qui les font ? Quelle injustice, doivent-ils penser, que cette soudaine demande de fidélité à son vote tombe sur eux.
En France, il y a des gens pour souhaiter l’élection de Marine Le Pen afin qu’elle fasse la preuve de l’inefficacité de ses prétendues solutions et qu’après on soit débarrassé d’elle et du Front national (on n’ose imaginer la situation si cet après se fait attendre). Le mieux pour les Français serait quand même que Marine Le Pen gagne des élections ailleurs qu’en France, pour qu’on puisse suivre le potentiel désastre d’un peu plus loin. Quand on souhaite une catastrophe, on souhaite aussi en être le moins possible partie prenante. Si j’ai bien compris, le Brexit fait tellement l’affaire de la présidente du Front national que ses conséquences pourraient finir par faire celles de ses adversaires. Si ce n’est que, si j’ai bien compris, on n’a pas fini de comprendre, décomprendre et recomprendre.