Mon cher Didier, je sais qu’il me sera difficile de te consoler tant tu aimes la victoire et tant tu penses que celle-ci te revient. Laisse-moi te dire que cette défaite contre le Portugal, aussi peu justifiée sportivement que la victoire contre l’Allemagne, va faire monter le coefficient de sociabilité de notre beau pays, toujours suspect d’arrogance pimbêche. Je sais que tu nous préfères en gagnants très sales types. Je nous aime beaucoup en perdants sympathiques. Je n’ai pas dit magnifiques, ce qui serait exagérément prétentieux.
Mon cher Didier, tu ne peux pas savoir combien je te suis reconnaissant d’avoir mené les Bleus jusqu’en finale de l’Euro. Et cela va bien au-delà d’une gratitude cynique qui me verrait te remercier pour m’avoir permis de souffler après déchéance de nationalité, loi travail et autres inondations. Bien sûr, tu as tiré un rideau de fumée opiacée aux teintes rosies de bonheur éphémère sur une réalité perçue perpétuellement comme catastrophique par nos concitoyens, rois et reines de la gueule tirée et de la polémique avariée. Mais tu as fait beaucoup mieux.
Mon cher Didier, tu es devenu le chef de cette guerre euphémisée qu’est le foot quand je passe ma vie à décider d’interventions armées, à valider de cruelles opérations de représailles et à épingler des médailles au revers des suaires des militaires tués en opération. Je t’envie d’être en charge de duels sans armes choisies et sans mort autre que symbolique. J’aimerais que nos différends géopolitiques puissent se régler par délégation sportive, que les canonniers ne soient plus que des tireurs au but, qu’ils portent short et crampons plutôt que casques et treillis.
Mon cher Didier, je sais que beaucoup de tes pioupious étaient déjà sur la pelouse du Stade de France, le 13 Novembre. Quand ça explosait alentour, ils ont continué à jouer. Ce qui a permis une évacuation des lieux sans panique excessive. C’est ensuite qu’ils ont compris qu’il n’y avait pas que le ballon dans la vie. Lassana Diarra a perdu une cousine au Bataclan. La sœur d’Antoine Griezmann en a réchappé de justesse. Comme l’ensemble du pays, ces enfants gâtés, ces enfants de la balle ont réalisé que ces attentats remettaient en cause leur mode de vie jouisseur et râleur, festif et querelleur, désinhibé et ergoteur. Le terrorisme islamiste ne reproche pas au foot d’être un business égotiste. Il lui en veut d’être une distraction joyeuse à jambes nues et un dérivatif télévisé qui pousse à boire des bières. Il ne supporte pas que ce soit un moment de fraternisation entre des peuples rivaux et des religions différentes. Et c’est pourquoi je suis heureux que ce soit cette génération éprouvée qui soit dans la reconquête de la légèreté.
Mon cher Didier, je ne vais pas te remercier pour avoir mouché les protégés d’Angela Merkel qui, comme elle, ont trop tendance à mettre la main sur l’Europe. Je retiens surtout que le Rhin n’est plus une frontière et que les ennemis de toujours se préfèrent adversaires d’un jour et sont sortis bras dessus, bras dessous, consolateurs d’un côté, compréhensifs de l’autre.
Mon cher Didier, j’ai apprécié que pour une fois, aucun pays, aucun politique n’aient manifesté l’envie de sortir de l’Euro autrement qu’en vainqueur. Le seul reproche que je me permets, c’est que tu aurais pu éviter de laisser le trophée aux compatriotes de ce traître de Barroso, ancien président de la Commission européenne parti cachetonner à la banque Goldman Sachs. J’ai peur qu’on revienne me corner aux oreilles en dénonçant l’Europe vendue à la finance ou en évoquant le traité de Lisbonne faisant litière du non au référendum de 2005.
Mon cher Didier, je ne vais pas te proposer le ministère des Sports, comme Laurent Fabius l’avait envisagé en 1984 pour Michel Hidalgo, ton devancier. La question n’est pas de savoir si tu es de gauche car je suis habitué à brouiller les lignes. Mais comme la politique souffre d’un discrédit pire que celui que subissent les footballeurs et que tu as le sens de tes intérêts, tu me rirais forcément au nez.
Mon cher Didier, nous avons des choses en commun. Nos physiques ne sont pas particulièrement avantageux et nos élocutions sont parfois moquées. Mais nous avons, tous deux, le contact facile et la carapace huilée, la modestie consensuelle et le pragmatisme avide. Nous savons nous saisir des opportunités imprévues et nous débarrasser des emmerdeurs en douceur.
La seule différence entre nous, c’est que depuis dimanche la victoire ne te colle plus aux basques quand je n’ai pas encore perdu la présidentielle 2017. Allez, à bientôt, à Moscou, pour la finale du Mondial 2018. Toi sur le banc et moi en tribune officielle.