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Libération
Chronique «Ré/Jouissances»

Prière mécréante pour en finir(?) avec le jihad

Supplique attristée d’un athée qui se trouve réduit à demander à Dieu et à Allah d’empêcher le retour des guerres de religion.
publié le 2 août 2016 à 17h21

Dieu et Allah, vous n’existez pas. Nous le savons pertinemment tous les trois. Et pourtant, vous voilà devenus les personnages symboles de la France de 2016.

Dieu, je te connais car le catholicisme a longtemps imprégné la société hexagonale. Allah, je ne sais pas bien qui tu es et je ne m’intéressais pas beaucoup à toi avant que les tueurs n’invoquent ton nom.

Dieu, j’ai mis le temps qu’il fallait pour échapper à ton emprise, à ton catéchisme et aux bonnes sœurs voilées qui m’ont éduqué. Tu comprendras que ce n’est pas pour aller me mettre entre les mains d’une nouvelle puissance sermonneuse. Allah, désolé, mais j’ai mieux à faire qu’à fréquenter ton école coranique.

Malgré tout, Dieu et Allah, c’est à vous que j’adresse cette prière impie car je vois monter le péril d’une guerre des religions qui s’annonce aussi désastreuse que celle qui a pu opposer catholiques et protestants.

Allah et Dieu, au-delà de vos proclamations œcuméniques, l’idéal serait de faire retraite avec vos fidèles sous la tente du spirituel et d’éviter le lobbying sociétal le temps que les choses s’apaisent. Ce qui, je ne vous le cache pas, risque de durer. A défaut, voici quelques suggestions qui vous permettront de vous rendre utiles.

Allah qui n’existe pas, toi dont les jihadistes invoquent la grandeur avant de trucider un vieillard en aube blanche ou d’écraser des mômes avec un camion, pourrais-tu, s’il te plaît, faire valoir aux meurtriers que tout cela te rabaisse, que ta gloire en est ternie et que l’opprobre rejaillit sur tous les gens qui espèrent en toi et qui ne vont pas saigner leurs voisins pour autant.

Dieu qui n’existe pas, je ne me fais pas de souci, je suis certain que tu accueilleras comme il le mérite ton prêtre de 86 ans égorgé par des fondamentalistes se revendiquant d’un autre monothéisme que le tien.

Allah, toi au nom de qui on tue, je te serais reconnaissant de faire savoir à ces «soldats de la foi» que tu ne crois pas en eux, que tu les répudies et qu’ils brûleront en enfer le temps qu’ils réalisent que le paradis ne se gagne pas en donnant la mort.

Dieu des chrétiens qui, paraît-il, s’est fait homme, j’ai toujours été étonné que tu prônes le pardon des offenses quand je n’envisage pas de tendre l’autre joue, ni de me laisser crucifier. Je sais que tu as le chic pour endosser l’habit victimaire, mais j’apprécie que nous pensions tous deux que, par delà l’horreur recommencée, il ne faut pas dénier aux assassins leur part d’humanité. Aussi désastreuse soit-elle…

Allah, toi qui es plus multiforme que ne l’est Dieu le catholique, toi qui n’élis pas de représentant unique, ni n’organises ton clergé comme une armée en robes, toi dont les charias sont variées et qui n’édictes pas de doxa qui fasse des bulles papales, j’aimerais que tu comprennes que la France est un pays assez particulier, où la liberté de culte est garantie, mais où il faut que tu coexistes avec les autres divinités et que tu acceptes que la religion soit confinée dans la sphère privée.

Dieu, s’il te plaît, toi qui as fini par admettre de te plier à la laïcité, et je sais que tu as mis le temps, peux-tu faire valoir à Allah qu’il serait de bonne politique qu’il accepte que les écoliers suivent les programmes démocratiquement établis, aillent à la piscine filles et garçons réunis et soient éduqués à la sexualité.

Allah, afin de couper tous liens entre toi et les jihadistes, je pense qu’il faut que la République t’accueille mieux qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent. L’impôt finance les églises chrétiennes, devenues monuments historiques. L’Etat doit te construire des mosquées et assurer la formation de tes imams, si ce n’est les rémunérer.

Allah, pour ce qui est des femmes qui se voilent pour te plaire absolument, je pense qu’il faut les laisser faire à leur guise. Dans la rue comme à l’université, elles ont bien le droit de se cacher à la vue de ces abominables pervers concupiscents que seraient par nature tous les mâles en pantalon. Par contre, quand elles sont fonctionnaires ou enseignantes, je tiens à la neutralité de leurs visages éclairés.

Allah, s’il te plaît, il serait bon que tu tances les plus dévots de tes barbus qui refusent de serrer les mains des femmes avec lesquelles ils travaillent et que tu sermonnes ceux qui, en ton nom, semblent prêts à lapider homosexuels et libertins.

Enfin, Dieu et Allah, pour me prouver que vous existez, n'hésitez pas à ressusciter le curé de Saint-Etienne-du-Rouvray, les spectateurs niçois, les terrassiers de novembre, les flics descendus, les clients de l'Hyper Cacher et les dessinateurs de Charlie.