Je me souviens du pigeon qui te chie sur l'épaule quand tu viens saluer la bande de Charlie. En ce moment triste et beau, tu incarnes au mieux ce pays rassemblé pour la liberté d'expression. Mais ce volatile crotteur est un peu à l'image de ces mêmes Français qui, pendant cinq ans, t'ont fait dessus sans gêne et sans façons, et sans que tu l'aies toujours mérité. Il faut dire que tu as tellement le chic pour rire de tout et pour n'impressionner personne, pour essuyer d'un revers les déjections, qu'avec toi, on se laisse facilement aller. Au risque de se croire tout permis et que dégouline du ciel la fiente des peurs et des moqueries. Le cérémonieux et le pompeux ne sont pas dans tes manières. Et c'est tant mieux ! Je ne veux pas d'un aigle aux élévations constipées ou d'un corbeau aux humeurs massacrantes. Ta normalité humaine à fort cui-cui me va, ce sont plutôt tes voltes d'étourneau idéologique qui me plument la confiance.
Je me souviens du discours du Bourget. Tu as alors la maigreur du séducteur, l’ardeur en bandoulière et l’art oratoire du tribun que le tête-à-tête télévisé affadit, ramollit, édulcore en gentillesse assez niaise, en indolence technocrate. Au Bourget, tu es Jaurès, Blum et Mitterrand, pas moins.
Malheureusement, je me souviens aussi de la conférence de presse de janvier 2013. Ce jour-là, tu te flattes d’avoir toujours été social-démocrate alors que tu as déjà viré social-libéral. Tu préfères la politique de l’offre au keynésianisme. Tu estimes que les patrons sont plus à même de redresser l’économie que le partage du travail. Je ne dis pas que ce jour-là tu tombes le masque, que tu vires casaque ou que tu ôtes le casque. Je dis que ce jour-là, tu sors de l’ambiguïté à ton détriment, que tu finis de faire l’équilibriste entre les deux gauches, et que cela signe le début de ta fin.
Je me souviens des virés et des quitteurs. Tu n’as rien d’un caporal épingleur, ni d’un licencieur abusif. Tu as la patience à nuque rentrée, l’échine qui ploie sous l’orage, la compréhension machiavélique. Chez toi, la colère n’est jamais mauvaise conseillère. Et pourtant, tu termines isolé dans un donjon en ruine. Longtemps assembleur et conciliateur, tu finis par droitiser tes amitiés et tes fidélités. Tu choisis ton camp contre beaucoup de tes camarades. Poussés dans le dos, partent Duflot, Montebourg, Hamon, Filippetti et même Taubira. Restent Valls et Macron. Je ne sais dire si ce sont eux qui t’imposent leur logique ou si c’est toi qui tiens à ce qu’ils mettent en œuvre ta politique. Mais te voilà libéral et sécuritaire. Malgré cette confiance accordée, ces préférés eux aussi t’abandonnent. Macron est le benjamin rêvé, le double rajeuni, et il part. Valls est le cadet complémentaire, l’indispensable opposé, et il te pousse à partir. Et te voilà seul au monde, toi si sociable, si bon compagnon, si arrangeant.
Je me souviens de Tombouctou. Tu parades en «libérateur» ému devant une foule malienne aux anges. Tu te découvres chef de guerre, et cela a l’air de te plaire, comme si la paix n’était jamais qu’un pis-aller pour tout commandant en chef. Et je me demande alors si tu sais ce qu’il en est de la mort donnée, de la mort ordonnée, de la mort reçue ? Me revient cette histoire racontée par ton ex : tu sonnes à la porte et tiens à la main le sac plastique contenant les cendres de ta mère, qui t’encombrent autant que tu refuses de t’en séparer.
Je me souviens de la cour des Invalides. Tu y rends un dernier hommage à beaucoup trop de disparus. Est-ce supportable longtemps ces drapeaux en berne, ces sonneries aux morts et, surtout, ces larmes de ceux qui ont perdu des enfants qui avaient l’âge des tiens ? Est-ce vivable quand on n’a pas la fibre tragique, ni le cœur aussi cuirassé que l’on pourrait croire ? Ce n’est pas parce que tu ne transpires jamais que tu es imperméable.
Je me souviens de ton appétit pour les sondages. Peut-être ton départ signifie-t-il qu’encore une fois tu as choisi de satisfaire les attentes de l’opinion.
Je me souviens de ton addiction à la politique. Qu’en est-il de l’état de la politique en France, quand le plus politique des politiques renonce de continuer à en faire ?
Je me souviens de la pluie qui te tombe beaucoup dessus comme si elle voulait te tremper pour savoir de quel acier tu es fait.
Je me souviens de tes lunettes embuées par l’averse sur l’île de Sein.
Et puis je me souviens du lendemain de ta renonciation. La chaîne Chérie 25 diffuse un téléfilm intitulé Amoureuse. Actrice, ta non-première dame y incarne une journaliste d'investigation, et y expose des seins aussi parfaits que ceux de Marianne à des télé-électeurs qui ne veulent plus de toi.