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Libération
Chronique «Si j'ai bien compris»

Le martyre de saint François Fillon

Il a beau ne pas les tendre, voici que et sa joue droite et sa joue gauche et son coccyx et son abdomen et ses tibias en ont pour leur argent.
publié le 14 avril 2017 à 19h46

Si j'ai bien compris, et Alain Juppé a payé pour le savoir, la droite n'a pas voulu du meilleur d'entre nous. Elle préfère manifestement le pire d'entre eux : François Fillon. Il a l'air véritophobe, d'où l'ampleur prise par les scandales de ses affaires d'argent. L'argent non, mais la vérité, il n'a pas l'air d'avoir de problème pour la mettre de côté. De ce point de vue, il a même une certaine hauteur de vue : il a renoncé à se soucier de vraisemblance. Tout est complot contre lui. Au lieu de réclamer le bénéfice du doute, il veut celui du soupçon. C'est comme si, dans une sorte de mégalomanie, il croyait que tout le monde l'estimait encore comme le candidat le plus dangereux quand lui-même s'estime le candidat le plus indigne : il a même été voler au Front national le vote caché. Ah, si ses électeurs avaient le droit de voter la nuit et encagoulés et qu'il dépouillait personnellement (les votes), ça frémirait sec. Ce ne sont pas seulement le Canard enchaîné et Mediapart, François Hollande, Philippe Poutou et Nicolas Dupont-Aignan qui veulent déboulonner l'icône, le complot est planétaire. Bientôt, on va nous faire savoir que si Donald Trump a bombardé la Syrie, c'est contre l'homme de Sablé-sur-Sarthe, qu'il sait proche de Vladimir Poutine.

A toutes les attaques, François Fillon rétorque qu'on n'a jamais vu ceci dans l'histoire de la Ve République, que cela est inédit dans une élection présidentielle. Il ferait mieux de tenir sa langue. A force de le répéter, on va avoir des soupçons. On n'a jamais vu un candidat faire travailler femme et enfants, et depuis maintenant trente-cinq ans pour sa dévouée épouse, avec un si petit faisceau de présomption d'innocence. On sait que qui vit avec une prostituée est juridiquement un proxénète. Est-ce que qui vit avec un proxénète est une prostituée ? Ou est-ce une sainte ?

En ne demandant pas qu’on l’aime, mais juste qu’on vote pour lui, François Fillon fait cependant preuve d’une certaine lucidité. Il n’est pas certain qu’il sera mieux entendu pour autant. C’est sa grandeur : il est prêt à être impopulaire, si c’est bon pour la France - mais pourvu qu’il soit élu. Parce que s’il est impopulaire au point de se faire éliminer comme un malpropre, rien n’ira plus. Il est prêt à tout, mais pour gagner et faire ainsi gagner la France. Si la France est éliminée au premier tour de sa propre élection présidentielle, où va-t-on ? Si ce ne sont pas seulement les sondeurs mais les électeurs eux-mêmes qui mettent la main jusqu’au coude dans le complot. C’est curieux que François Fillon soit soi-disant si bien informé sur les fuites qui nourrissent médias et justice, et que ses connaissances et sa mémoire le trahissent perpétuellement en rase campagne quand il s’agit des dates exactes du travail de sa femme et des documents qui en attestent. N’y aurait-il pas non plus un soupçon de mauvaise foi en comparant sa situation sondagière actuelle à celle qui lui a fait gagner sa primaire ? Dans un cas, il partait de zéro et il est arrivé au zénith ; dans l’autre, il est parti du zénith. La courbe est moins prometteuse. Accordons-lui que les sondages peuvent participer à son martyrologe. Si j’ai bien compris, il y a des gens qui doivent voter Jean-Luc Mélenchon juste pour le plaisir que François Fillon ne soit pas sur le podium de la présidentielle.