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Libération
Chronique Ré/jouissances

Benzema et la politique du foot

Non sélectionné chez les Bleus, le joueur du Real contre-attaque et prouve que le sport est la continuation de la politique par d’autres moyens.
Karim Benzema, en 2015, au centre d'entraînement du Real Madrid. (Poto Pierre-Philippe Marcou. AFP)
publié le 22 mai 2017 à 17h36

Arrêtons de penser que le foot n’est qu’un jeu, que la vérité du terrain emporte tout sur son passage. Aussi génial soit-il, un dribble de Karim Benzema jamais n’abolira la guerre en crampons de tous contre tous, menée par tous les moyens, avouables ou non.

Le foot est stratégie, bizness et communication. Le foot est rapport de forces et alliance de vestiaires, mise à l’écart et roueries masquées. Le foot, c’est de la politique. Comme les autres, Benzema joue sa partie au-delà du gazon vert. Didier Deschamps fait de même qui refuse de sélectionner le mis en examen, après lui avoir longtemps tenu la tête hors de l’eau. Le foot est intéressant parce qu’il ne s’agit pas juste de pousse-ballon. Il est question de rapports humains, d’empathie et de mépris, de rancune et de lâchage. Il y a pugilat dialectique entre l’agilité physique et le réseautage numérique, entre le relationnel tactique et le coup de pression médiatique. Recension des oppositions et des recompositions.

Le prince et le petit chose. Si, côté familial, Benzema est d'ascendance immigrée et populaire, côté sport, il a la naissance princière. Depuis toujours, on lui reconnaît talent et prédestination. Et cela vous fait la vie douce et l'avenir radieux dans le monde de la performance où l'on pardonne beaucoup à ceux qui ont tout. Au contraire, Mathieu Valbuena vient de loin. Sa rage lui a permis de repousser ses limites physiologiques. Alors quand le méritant hors venu de 1,68 m accuse l'ombrageux surdoué d'1,85 m d'avoir favorisé un chantage à la sextape mené par des copains de son quartier d'enfance, les connaisseurs ricanent doucement. Pas des fidélités exagérées de Benzema envers ses vieux potes quitte à rouler dans la farine un coéquipier, mais des mauvaises manières du gnome libidineux qui aurait pu éviter de mettre en cause l'un des héros révérés du milieu.

Cette histoire a sportivement affecté Valbuena quand Benzema a continué à surfer sur sa facilité. Sans réintégration conjointe, Deschamps pouvait difficilement privilégier l’accusé en oubliant sa victime. D’où la colère de Benzema qui semble autant en vouloir à Valbuena de son incapacité à se remettre à niveau que de sa dénonciation.

Le ministrable et le président. Un sélectionneur est comme un président de la République. Il compose son équipe comme un gouvernement. Il trie, choisit, élimine et n'a de comptes à rendre à personne. Autocrate très Ve République, Deschamps le dit clairement : «Je suis le seul décideur.» Comme Macron, il pèse le pour et le contre, l'apport sportif et l'esprit de corps, le gain mathématique et la perte symbolique. Deschamps a longtemps soutenu Benzema. Le lien s'est rompu quand le joueur a négligé de l'avertir qu'il avait été entendu dans une enquête sur une embrouille immobilière. On était à quelques mois de l'Euro 2016 qui se déroulait dans l'Hexagone. La France du foot devait donner des gages à la France non foot, restée bloquée sur la grève des joueurs en Afrique du Sud. Deschamps a fait la part du feu. Il n'allait pas s'encombrer d'un déclencheur de polémiques d'autant qu'il avait des recrues prometteuses. Depuis, Benzema a aggravé son cas. Laisser entendre que Deschamps aurait pu céder aux racistes est désobligeant. Mais c'est surtout ridicule ! Le Basque est trop addict à la victoire pour se soucier des origines de chacun. Cet ultrapragmatique aurait fait litière du devoir d'exemplarité bêtement exigé des joueurs si Benzema lui avait été plus indispensable qu'encombrant. S'il en a besoin demain, il le reprendra sans moufter.

Le vieux et les jeunes. Aujourd'hui, le renfrogné du Real se déguise en rebelle, ce qui est une scie assez rengaine. Il joue les victimes, ce qui est un peu exagéré. Il avait Cantona comme soutien, voici venir Booba, sans oublier le tonitruant Dupond-Moretti. Dans le genre Grosse Bertha, on ne fait pas mieux. Pire, comme le dernier des politicards, Benzema fait valoir sa proximité avec Macron. Loué soit le nouveau seigneur ! Et honni soit Hollande, et surtout Valls qui aurait demandé sa tête, comme si le foot n'était pas devenu plus puissant que le moindre pouvoir démocratique. En fait, le récent parler haut du silencieux, grandi à Bron et devenu people à Madrid, témoigne surtout de son angoisse devant l'accélération du tempo.

En foot, il y a le feu au lac quand la trentaine approche. D’autant que les Bleuets éclosent comme jonquilles au printemps. Les centres de formation français, qu’on accusait de stéréotyper un recrutement bourrin, produisent à tour de bras des attaquants sportivement véloces et intellectuellement vertébrés. Ils ont 20 ans et jouent déjà à Manchester ou au Bayern. Surtout le Monégasque Kylian Mbappé, 18 ans, a tout d’un grand. Qui pourrait estourbir Benzema. Lequel s’affole et artille avant qu’il ne soit trop tard.