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Libération
chronique «si j'ai bien compris…»

Négos à gogos

On négocie moins bien le revolver sur la tempe. La négociation du plus fort est toujours la meilleure.
publié le 26 janvier 2018 à 18h26

Si j’ai bien compris, les négociations vont s’ouvrir. C’est une situation permanente. Ça négocie tous azimuts, à tire-larigot. Une seule solution : la négociation. La condition des surveillants de prison, la réforme des retraites, celle de l’ENA, mille autres choses qui ne roulent pas comme elles devraient - on va négocier. Bien obligé, puisqu’après tout on est dans une démocratie et qu’on ne peut pas tout imposer par la force. Faisons de contrainte vertu : «Chers amis, chers concitoyens, négocions. Nous avons en commun ce gâteau somme toute très modeste et vous en voulez vraiment une si grosse part ? Mais vous avez quoi comme biscuit ? Ne craignez-vous pas que votre estomac, à force de privations, ne se soit réduit et qu’un changement trop brusque n’ait de néfastes effets ? Il faut la digérer, la négociation.» Il y a une expression bizarre : «Etre en position de force pour négocier.» Car si on est vraiment en position de force, on ne négocie pas, on consulte. On ne négocie que quand il y a un os et que tout le monde veut en ronger. On se moque des souks où on marchande, mais négocier, c’est tout transformer en souk. On nous l’inculque au berceau. «Mange ta soupe et tu pourras regarder la télé. Aie de bonnes notes et tu auras du dessert. Prends ta pilule et tu auras la permission de minuit. Sois poli ou tu passeras toutes tes vacances chez tes grands-parents.» Quand on pense à tout ce qu’on aurait pu négocier et qu’on a concédé, on ne nous y reprendra plus. Et tout ce qu’on aurait dû négocier avant le mariage. C’est ça, négocier : il vaut mieux avant qu’après.

Quand les négociations échouent, il y a la guerre. Et, après la guerre, il y a les négociations. D'où la volonté de certains de faire l'économie de la guerre. Mais c'est la même chose avec la grève : les négociations ne sont pas forcément les mêmes avant et après. Cette fameuse position de force, ce serait tellement plus simple si elle était figée une fois pour toutes. Les négociations se font souvent aux dépens d'un tiers innocent : telle est la position des civils collatéraux dans les guerres et celle dite de l'otage embedded dans les grèves. Il y a toujours quelqu'un pour faire les frais des négociations. Quand les diverses parties se quittent satisfaites, il y a du mouron à se faire pour ceux qui n'étaient pas conviés à la table. Par exemple, l'enfant unique qui l'a mauvaise que ses parents se réconcilient en lui faisant un petit frère ou une petite sœur dans le dos. Ça changerait si les enfants avaient le droit de négocier le divorce de leurs parents.

Il y a tout ce qui n’est pas négociable. On peut toujours négocier un arrêt maladie mais plus difficilement l’arrêt de la maladie. De toute façon, le secret est un élément majeur de la négociation, ne serait-ce que le prix de la passe (ou de la spécialité) du temps où la prostitution régnait honteusement sur la nation. Mais même syndicats et gouvernement explicitent rarement la manière dont ils ont mitonné leur tambouille pendant que les journalistes restaient dans le hall. On aimerait bien être une petite souris pour savoir comment négocier un accord win-win, par exemple une grosse vente d’armes en même temps qu’une sévère mise en garde sur les droits de l’homme, carotte et bâton dans le même panier. Si j’ai bien compris, il y a aussi les fausses négociations : la bourse ou la vie.