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Libération

Des non, des gnons et des grognons

A force d’exciter les mécontentements, il se pourrait que la chaîne lâche et que le gouvernement n’ait plus qu’à courir pour protéger son fond de culotte.
publié le 20 avril 2018 à 19h26

Si j’ai bien compris, ça grogne sec. Dans les universités, les hôpitaux, les ZAD et, bien sûr, les transports (Air France, la SNCF, sans compter les automobilistes dont on prétendrait limiter le pouvoir meurtrier à 80 kilomètres heure), ça marmonnait, ça murmurait, ça chouinait, ça gémissait, bref ça couvait - voilà que ça grogne. Est-ce que ça mord ? Le gouvernement fait le pari qu’il pourra museler ces geignards de Français (et geignardes de Françaises) de tous ordres qui voudraient toujours vivre au Moyen Age et craignent la réforme comme des chats l’eau froide. On attendait des remèdes, on n’a que les ordonnances et les honoraires, salés. Reste à savoir si c’est le médecin qui est mauvais ou le mal plus virulent que ceux qui en sont atteints l’imaginaient. Personne n’est bien portant dans ce pays mais ce n’est pas une raison pour que le Président se prenne pour le docteur Knock. On a l’impression qu’il va nous soigner, tous autant qu’on est. Jupiter, l’original, pouvait faire des miracles, lui. Il n’avait pas que la foudre, aussi des carottes. Mais nous, question nectar et ambroisie, il va falloir patienter. La recette n’est toujours pas au point.

Le président du «en même temps» devrait en toute logique être en même temps le président des ultra-riches et le président de toutes les Françaises (et tous les Français). Chez les ultra-riches, il a l'air de faire son boulot : on ne les voit pas boycotter les grands restaurants et ni les grands couturiers ni les joailliers ne se plaignent d'une grève des achats. Ils sont de bons citoyens, les ultra-riches, ils ne bloquent rien ni ne prennent personne en otage. Ils sont patients, ils ont confiance, persuadés que bientôt les trains rouleront mieux pour le profit de tous et de leurs nouveaux actionnaires, que le personnel pléthorique s'ennuiera dans les hôpitaux à attendre son tour pour avoir le droit de s'occuper d'un malade, qu'on n'entendra plus une mouche voler dans les amphithéâtres où les bons étudiants auront leurs diplômes et les mauvais ce qu'ils méritent, que la courbe du chômage se tortillera en rampant autour de 0 %. Et quand on aura atteint ce monde idéal grâce à eux, les ultra-riches ne bénéficieront pas pour autant de la reconnaissance nationale mais ils sont habitués à l'ingratitude - ils s'arrangent avec, ils managent.

Semble-t-il que s’il y a quelque chose qui mérite la liberté sur cette planète, c’est la concurrence. Et pourtant, ses indéniables vertus ne sont pas la totalité de ses apports. Apprendre que quelqu’un peut faire votre boulot dix fois mieux et trois fois moins cher que vous (ou trois fois mieux et dix fois moins cher, ou un peu moins bien mais beaucoup moins cher) se révèle souvent utile pour relativiser les bienfaits de la concurrence - elle est moins séduisante dès qu’on en est partie prenante. Au moins, se faire doubler par un robot est moins humiliant que par un être humain où la concurrence est plus crue. Personne n’aimerait être mis en concurrence dans sa vie privée, que les enfants choisissent leurs parents à la fin de chaque mois (avec juste vingt-quatre heures de préavis quand ça tourne mal), que les conjoints puissent en permanence être testés avec des remplaçants (ou remplaçantes, chacun ses goûts) qui ne font pas de manières pour laver la vaisselle, et sans traces de doigts. Si j’ai bien compris, c’est toujours le problème avec les élections : «Vous votiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, grognez maintenant.»