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Libération
Si j'ai bien compris...

Dernière semaine avant la fête du slip du foot

Dans huit jours, tous les conflits seront en solde. On parierait que même les Russes ne déclencheront pas de mouvements sociaux.
Logo de la Coupe du monde de football sur le toit d'un building à Moscou, le 6 juin 2018 (Photo Mladen ANTONOV. AFP)
publié le 8 juin 2018 à 19h36

Si j’ai bien compris, dès la semaine prochaine, il n’y en aura plus que pour le foot (et sa fameuse Coupe du monde en Russie). Dans les ministères comme dans les syndicats, on doit déjà crier «Allez, ne lâchez rien». Parce que, dans une semaine, la grève, les réformes, pfff, ce sera la grande pause, tout le monde qui regarde le même programme à la télé, les «aahh» et les «oooh» qui sortent en même temps des appartements, les klaxons dans les rues. Ce sera la trêve, la cause commune, l’union nationale. Les grévistes qui empêcheront les gens d’aller déguster les matchs, on ne donne pas cher de leur avenir, c’est pour le coup qu’ils changeront de statut. C’est comme si on allait entrer en période d’hypnose, c’est le moment ou jamais de nous prélever à la source, personne ne criera au viol. Et puis, là, on va voir ce que c’est que la France, on ne dépend pas de Bruxelles ni d’un éventuel embargo américain - pas d’excuse, on va montrer au monde ce que c’est qu’un coq.

Ah, si on avait les mêmes chances dans d'autres domaines, les mêmes espoirs, si les dés n'étaient pas pipés dans le commerce et l'industrie. Parce que, dans les relations internationales de tous ordres, c'est comme si les Américains, eux, avaient le droit d'être dopés jusqu'au cou, avec leurs dollars et leurs armes. Nous qui jouons contre le Pérou, le Danemark et l'Australie, si on était par exemple en position d'imposer que les autres soient un de moins dans l'équipe (ou deux), que le goal adverse n'ait pas le droit de mettre les mains (contrairement à l'ensemble des joueurs français) et que le match commence par un penalty (en notre faveur) pour donner le ton, tout de suite on se sentirait plus confiants. La compétition s'annoncerait sous d'excellents augures. Au lieu de ça, les Américains ont empêché Michel Platini d'être président de la Fifa, ce qui n'aurait pas pu nous faire de mal, sous prétexte que le Qatar avait été estimé terre plus footballistique que les Etats-Unis. On peut développer toutes les analyses, convoquer les experts les plus scrupuleux, au bout du compte c'est comme dans la cour de récré : le caïd fait la loi et camembert les petits pays de merde. Evidemment, on pourrait se venger avec le foot, les Brésiliens, la fête et tout ça. Mais il y a aussi les Allemands, la dream team des Merkel's boys.

C’est une sorte très particulière de ramadan : pendant un mois, on va regarder des matchs et scandale assuré pour ceux qui ne le feront pas. Bien sûr, on aura le droit de boire de la bière à toute heure et on ne s’en privera pas. Il y a toujours le risque que les Français se fassent claquer la gueule dès le premier tour mais ce serait une telle honte qu’il y aurait aussi des satisfactions à en tirer : on donnerait son avis, ce qu’il aurait fallu faire, ne pas faire, qui soutenir, qui enfoncer, quelle alliance serait la plus prometteuse. On serait débarrassé du suspense et du chauvinisme, on pourrait donner libre cours, certes à vide, à ses capacités de stratège. D’un autre côté, si j’ai bien compris, on peut aussi envisager le triomphe suprême, la concorde partout, les cheminots grévistes embrassés par leurs cadres et par les usagers, la patrie pleine de panache sauvée pour plusieurs semaines, Emmanuel Macron arguant que, là, François Hollande ne peut pas prétendre y être pour quelque chose.