Menu
Libération
Chronique «Si j'ai bien compris...»

Le ministère de la Catastrophe annoncée

Ah, être ministre, c’est un sacrifice qu’on ne peut pas refuser à la planète. La salope est déjà d’une humeur tellement massacrante…
publié le 7 septembre 2018 à 18h06

Si j'ai bien compris, il y a des gens pour qui c'est très important d'être ministre. Daniel Cohn-Bendit n'a pas voulu l'être pour garder sa liberté. Mais il y a manifestement des gens pour qui leur liberté est secondaire par rapport au fait d'être ministre. «La liberté, c'est bien beau, mais ça ne se mange pas en salade», comme on dit dans les mariages. Il y a quand même quelque chose d'un peu inquiétant à penser qu'on est gouvernés par les apôtres de la liberté et de la parole restreintes. Les ministres, ce sont ceux qui préfèrent être solidaires avec le gouvernement plutôt qu'avec la population. Faut-il être populiste pour faire les deux en même temps ? Certains prétendent que c'est une humiliation pour l'Assemblée de voir son président déguerpir dès qu'une place, si ce n'est un placard, de ministre se libère. Mais on peut analyser les choses à l'inverse. François de Rugy menaçait de rester cinq ans au perchoir, voilà qu'Emmanuel Macron et le gouvernement en sont débarrassés pour un ministère de Transition pas seulement écologique, où on serait bien surpris qu'il imprime son opportunisme. Peut-être que son pot de départ au Palais-Bourbon sera plus chaleureux que celui d'arrivée au gouvernement. On parierait que son éventuelle démission, quoique démissionner ne semble pas son genre, ferait moins de bruit que celle de son prédécesseur. D'un autre côté, peut-être que ce type ne s'est jamais attendu à être ministre de l'Ecologie dans ces conditions, comme il ne s'est jamais attendu à se retrouver pompier avec une petite lance au milieu d'un incendie maousse.

Etre ou ne pas être ministre ? Reconnaissons que ce dilemme ne se pose pas à tout le monde : il y a plein de gens à qui on ne propose jamais le poste, et ce n’est pas toujours parce qu’on sait qu’ils tiennent plus que tout à leur liberté. Daniel Cohn-Bendit, au demeurant, n’a pas strictement refusé. Il a fait état d’un accord entre le Président et lui sur le fait que ce serait mieux qu’il ne le soit pas, ministre, le Président respectant trop l’ancien soixante-huitard et sa liberté pour ça. François de Rugy a manifestement su apaiser Emmanuel Macron sur ce point. Pour la France, et surtout pour la planète, on peut bien mettre sa liberté sous le boisseau, en un mot ne pas faire de chichis. En tout cas, en choisissant un tel homme, le Président montre qu’il a bien perçu la gravité de la situation et l’inquiétude qui monte, puisqu’il y répond avec un tel éclat. Les gouvernements sont remplis de gens irremplaçables. Comme si ça ne suffisait pas, après la dette qui pèse sur nos épaules, voilà encore la dette écologique. Manquait plus que ça.

Et si, au lieu d’avoir plein de ministères alors que chaque gouvernement cherche à réduire les postes, on faisait un gros ministère de la Catastrophe à qui on pourrait balancer toutes les patates chaudes et dont le ou la titulaire démissionnerait tous les dix-huit mois, en accusant qu’on lui a rogné les ailes ou en s’excusant de ne pas avoir fait mieux ? Voilà un ministre qui garderait sa liberté de parole, qui ne serait pas obligé d’arrondir les angles mais avouerait honnêtement : «Comment on va s’en sortir ? Alors là, je ne vois pas du tout. Je tiens juste à préciser que nous n’avons plus de canots de sauvetage ni même de bouées.» Si j’ai bien compris, pour ce ministère-là, les courageux candidats ne se bousculent pas.