Si j’ai bien compris, la démagogie, ça consiste à faire ce que le peuple croit qui est bon pour lui plutôt que ce qu’on croit qui est bon pour le peuple. C’est comme les enfants qui ne veulent manger que des frites et des bonbons plutôt que de la soupe et des épinards si ce n’est qu’avec le peuple, c’est plus difficile de lui expliquer qu’il faut grandir, et que sinon il va devenir obèse, et que, de toute façon, il comprendra quand il sera grand. Le démagogue flatte le peuple mais c’est aussi qui perd gagne car le flatteur vit aux dépens de ceux qui l’élisent. On ne peut d’ailleurs de ce point de vue qu’admirer le gouvernement italien qui arrive à être démagogue avec une coalition d’intérêts entièrement opposés. C’est une vision radicale du en même temps : en même temps totalement pour et totalement contre. Il y en a pour tout le monde en veux-tu en voilà, ce qui rend difficile de s’opposer, mais on peut craindre qu’il y en ait aussi pour tout le monde quand il faudra protéger ses joues des claques économiques et autres qui menaceront de s’abattre sur la population, pas de jaloux. Quant à l’Europe prétendue impuissante, elle attend benoîtement que le marché sur lequel elle a craché fasse le bon boulot en remettant les Italiens à l’heure. Il y a une vision de la démagogie comme le contraire de la dictature : c’est rendre tout le monde heureux, ce qui est aussi le résultat des dictatures, mais là, c’est sans torturer personne ni flanquer l’opposition en prison.
L'expérience montre cependant que cette vision idyllique de la démagogie ressort justement de la démagogie et n'est pas faite pour durer. Mais ça veut dire quoi, durer, surtout en Italie ? Les Italiens veulent, semble-t-il, se libérer de la dictature de l'arithmétique. Quel enfant n'a pas rêvé, au moins un temps et au-delà des frites et des bonbons, de ne pas aller à l'école ? On ne va pas se laisser emmerder pour quelques zéros par-ci, par-là. On s'arrange toujours avec les millions ou les milliards. Après tout, on a aussi le droit de rendre un devoir de calcul où il y a un déficit, fût-il de connaissances. C'est Italia First comme USA First ou Hongrie First mais, pour le coup, tout le monde ne peut pas être first en même temps. Tout le monde ne peut pas être allemand. Les Italiens préfèrent être les premiers en Italie que les derniers en Europe. Avec en plus les Anglais qui ont promis de faire des étincelles maintenant qu'on ne les bride plus, et Donald Trump qui, quoi qu'on dise, va peut-être gagner les élections de mi-mandat parce qu'on ne peut pas retirer ça à la démagogie réussie : elle fait envie. Ce n'était pas gagné d'avance, pour Donald Trump, d'être élu pour avoir bien su insulter les Noirs, les femmes, les musulmans et les Latinos. Il fallait avoir l'idée. Donald Trump, c'est un peu le grand dadais du cours préparatoire dont on se moque par-derrière mais qui fait régner la terreur parce qu'il peut taper n'importe qui.
Tout gouvernement, même le plus strict, aspire cependant à l’occasion à prendre au moins une mesure populaire, surtout quand arrive le temps maudit des élections et qu’il faut remettre des jetons dans le bassinet. On médit de la démagogie mais c’est aussi un talent. Si j’ai bien compris, c’est donner à tout le monde et ce n’est pas donné à tout le monde.