Si j’ai bien compris, Paris, Rome, Madrid et pour le moment encore Londres ne sont que des faubourgs de Bruxelles. Il semblerait qu’il s’agisse d’une ville tentaculaire étendant ses griffes et ses réseaux sur tout ce qui bouge. A ceci près que d’un autre point de vue Bruxelles est plutôt une ville fantôme, un nom de code désignant sinon un continent (parce que l’Europe restera géologiquement en place quel que soit le sort définitif du Brexit et des élections de 2019), du moins l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui constituée. Selon qu’on soit europhile ou europhobe, Bruxelles est le père Noël ou le père Fouettard, l’atelier des dieux ou des démons. C’est là que se fabriquent en catimini ou dans la plus grande transparence les lois qui vont nous empêcher ou nous permettre d’avoir la paix. C’est un lieu mythique détenteur d’un pouvoir indéfinissable qui suscite une double réaction : rébellion et soumission. Bruxelles est un étrange croisement zoologique, à la fois bouc émissaire et vache sacrée. Le temps passant, la maturité venant, à quoi vont ressembler ses enfants est une question qui suscite quelques mystères chez les généticiens de tous poils. Maintenant qu’il s’avère qu’aller au catéchisme, c’est avoir de mauvaises fréquentations, comment rester fidèle en tout bien tout honneur à ces fameuses racines chrétiennes ?
Si l’Europe n’existait pas, il faudrait l’inventer. Ses thuriféraires n’en démordent pas et ses contempteurs seraient privés de mille arguments, en tout cas mille stratégies. On prétend que la bureaucratie européenne est trop présente dans notre vie quotidienne, mais comme ça simplifierait l’existence qu’elle le soit encore plus. Il ne tient d’ailleurs qu’à un soupçon de mauvaise foi, et la mauvaise foi est une denrée dont on manque rarement, pour que l’éducation se présente sous un tout autre jour qui mettrait le holà à l’insubordination enfantine et aux révoltes adolescentes. «Mes chéris, si ça ne tenait qu’à moi, et comment que vous n’en feriez qu’à votre guise. Votre bonheur est le mien. Mais Bruxelles exige que vous rangiez votre chambre, que vous soyez à la maison avant minuit, que vous vous laviez les mains avant de passer à table et les dents avant de vous coucher. Je suis bien d’accord que ce sont des maniaques, là-bas, mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?» S’il n’y avait pas de règles, comment pourrait-on promettre à ses électeurs de les respecter ou de les transgresser ? On serait dans le même désarroi que des racistes de naissance si les êtres humains avaient tous le même teint.
En Europe, il faudrait donc avoir deux amours, ou deux haines, son pays et Bruxelles. A Paris, Rome ou encore Londres, le gouvernement proposerait et Bruxelles disposerait. C’est ce qu’on va voir. Certains supposent toutefois, au mépris de toute géographie, que Bruxelles n’a pas d’existence propre, que c’est le petit nom de Berlin. C’est à ce titre que certains veulent se libérer de Bruxelles comme s’il s’agissait d’un combat d’une ampleur hors du commun alors que la Belgique n’a pas ces derniers temps la réputation d’une nation tellement expansionniste. Mais, si j’ai bien compris, il n’y a que les analphabètes pour s’imaginer que Bruxelles a le moindre lien avec les Belges ou la Belgique.
Retrouvez la prochaine chronique «Si j’ai bien compris…» le 3 novembre.