Si j'ai bien compris, il y a déficit et déficit. Il est des moments où rien n'est plus important que de réduire celui du budget - c'est l'honneur et l'indépendance de la France et de nos enfants - et d'autres où la priorité est de le laisser filer pour combler le déficit de popularité du pouvoir et celui des fins de mois d'une partie de la population - le déficit est une chose trop importante pour le laisser entre les mains des seuls technocrates, car il y a aussi l'arithmétique du cœur. Parfois, il faut creuser les déficits comme les prisonniers épris d'air frais et de liberté creusent un tunnel. Reconnaissons que les moments où il s'agit de réduire les déficits sont plus fréquents que ceux où on les laisse filer. De même qu'on dit toujours au peuple «c'est la faute à l'Europe», ne peut-on pas dire une fois à l'Europe «c'est la faute au peuple» ? Si certaines banques sont too big to fail, pourquoi pas la France elle-même ? Elle est quand même plus grande que pas mal de banques, du moins espérons-le. Pour combler les déficits sociaux, on n'a rien vu de plus efficace que l'argent, le pèze, le pognon, le flouze, le fameux grisbi que manifestement trop peu de gens touchent. Rien de tel qu'un peu d'oseille dans les épinards pour les beurrer sur tranche. Les dettes, c'est comme les bulles : ça éclate et hop, on passe à la suivante. Le problème, c'est l'effet blast, il faut planquer ses miches au moment adéquat.
Mais les déficits ne sont pas que financiers et le manque de considération ne touche pas que les gilets jaunes. Il semblerait que le Président préfère susciter la haine que l’indifférence, sensible au manque d’amour qu’il suscite chez une partie grandissante de la population. Noël arrive et le malheureux en est réduit à payer pour un peu d’amour. Dix milliards, normalement ça lève les pires préventions et pourtant la question est sur toutes les lèvres : la France va-t-elle faire la difficile ou accepter cette proposition indécente ? Allez, encore un ou deux milliards, le petit pourboire. Quant aux ultrariches, le Président a su les frapper au cœur : ils ont pris des coups mais le portefeuille est intact. Et les ultrariches ont l’air psychologiquement plus endurcis que le Président. Eux, l’indifférence de la population ne les gênerait pas. Ils feront avec. Et mieux vaut ne pas se mettre les patrons à dos, le Président faisant appel à leur bon cœur. C’est grâce à eux que les primes vont ruisseler sous les sapins, miam-miam.
Les déficits, chacun a le sien et ça fait longtemps qu’on vit avec : la voisine qui fait preuve de moins d’affection qu’on espérerait, la vitamine D qui est trop rare, le carnet scolaire pas loin de la banqueroute ce trimestre. Sans compter le grand déficit final instauré par la nature et qui étend son ombre effrayante sur nos têtes prostrées. Et puis il y a la Sécurité sociale et son fameux trou. Quant au déficit d’image, il semble qu’il y ait actuellement des vases communicants entre les gilets jaunes et le chef de l’Etat. Il doit commencer à comprendre ce que c’est qu’être dans le trou. Emmanuel Macron a creusé son propre déficit mais il ne faudrait pas que le sens de l’orientation lui fasse défaut et que le tunnel où il est tombé devienne un labyrinthe pour tous aux mille galeries. Si j’ai bien compris, il faut espérer que le déficit nous veut du bien.