J’ai fait un rêve inavouable. Dont, bien sûr, je vais m’empresser de vous parler. Rien de sexuel, n’ayez crainte. A moins que cela ne vous désole…
Je marche dans les rues de Paris. Le froid retrouvé gèle le pompon de mon bonnet rouge. Le temps des fêtes approche mais la Ville Lumière reste dans le noir. On ne croise aucun des factotums habituels qui coursent Noël, ployant sous le faix de l’emballé argenté et mordoré.
La capitale a fait tomber ses herses barbelées et clouté ses palissades en aggloméré. Elle cache ses angoisses devant la hargne imprévue de gilets jaunes qui demandent tout et son contraire et se fichent bien qu’on les comprenne.
Les palaces mirobolants, les enseignes de luxe comme les quartiers généraux des banksters ont conservé leurs tenues de camouflage pour conjurer le retour d'émeutiers qu'ils imaginent se damner pour des barricades enflammées.
Sur les Champs que je remonte d’un bon pas, les boutiques gardent baissé leur rideau de fer, comme si le soviétisme sibérien avait remis la main sur le consumérisme hystérique et lui broyait la nuque.
Devant ce paysage d’après la bataille, je me sens étrangement guilleret. Je fredonne un slogan situationniste, entraperçu sur les flancs rugueux de l’Arc de triomphe. Ça dit : «Vive le vent, vive le vent, vive le vandalisme». Et je m’en vais sifflant, soufflant, dans les grands sapins verts qui ne font plus clignoter leurs guirlandes.
N’allez pas croire que j’aie la moindre complaisance pour les casseurs hyperconsommateurs. Ces braves gens cagoulés de noir sont d’un conformisme achevé. Ils rapinent pour de la marque et lapident pour du logo. Ils sont avides d’imiter en tout le bling-bling et le show off des riches et célèbres qui puent la paillette et se dorent sur tranche.
N’imaginez pas plus que je puisse être un sous-marin de ce comité invisible qui fantasme des insurrections indéfinies, même si on aurait pu laisser Julien Coupat jaunir son paletot et taguer ses slogans, au lieu de lui signifier un risible rappel à la loi.
Si ce couvre-feu me voit exulter, c’est que, pour une fois, j’espère échapper à la fièvre acheteuse. La compulsion marchande atteint des sommets quand, telle une dinde truffée de foie gras, la crèche se fourre de petits Jésus. Au moment de la trêve des confiseurs, le religieux sert de passe-plat à la vente à l’encan. Ce qui, reconnaissons-le, est moins calamiteux que de servir de prétexte pour mitrailler les passants des marchés de Noël.
Je l’avoue, je suis un handicapé du cadeau. C’est une des névroses dont je guéris de moins en moins. Je ne ressens ni la joie d’offrir ni le plaisir de recevoir. Je vends la mèche pour éviter que la surprise tourne vinaigre et ne sale la soupe à la grimace. Je suis trop pourri-gâté dans un monde gavé-confit pour avoir encore besoin de maîtriser le système du don et du contre-don, théorisé par Marcel Mauss.
Je suis saturé de colifichets et recru de verroteries. Et, nous sommes nombreux dans ce cas au sein de cet Occident adipeux. En conséquence, je vais m’éviter le ridicule de gober la complainte doloriste du moment. S’ils ont des problèmes de pouvoir d’achat, les gilets jaunes ne sont pas de pauvres hères qui glissent dans les souliers de leurs petits, une simple orange pour Noël. Les gueux n’oublient pas leurs enfants, quitte à prendre des crédits revolving. Par contre, leur demande d’égalité fiscale et sociale n’a rien d’un cadeau quémandé.
Dans mon songe mensonger, me voilà rendu du côté des grands magasins calfeutrés. Je m’assieds sur un banc public, dans l’attente d’une amoureuse bécoteuse. N’ayant pas de gobelet Starbucks pour me chauffer les moufles, je me mets à feuilleter un magazine féminin (1) rescapé d’un kiosque vandalisé par le saccage numérique. L’article s’intitule «La belle conscience de Noël» et prône «moins de cadeaux, moins de conso, plus de générosité».
Je devrais jubiler, mais mon mauvais esprit voit le mal partout. Je ne peux m'empêcher de noter que cette hotte rétractée participe du green washing pour flippés du réchauffement et conscientisés bio. Cette rétractation est un trompe-l'œil. C'est un relais de croissance déculpabilisant pour modeux décarbonés, végans et animalistes qui tiennent à se reconnecter avec leur moi profond, garanti sans gluten, sans pour autant renoncer à déballer leurs paquets qui tapinent sous le sapin.
Au fil des pages du magazine, tout cela s’entrelace de publicités pour parfums, bijoux et autres joujoux dédiés à l’éternel féminin responsable des achats, quand les éditos maison célèbrent les femmes tranchantes, faisant du salami des porcs qui nous gouvernent.
Fatigué par ce tourbillon de contradictions, quand j’ai déjà assez des miennes, je ne tarde pas à piquer un roupillon mignon. Au réveil m’attend un traîneau mené par un père Noël qui a passé un gilet jaune sur sa houppelande rouge et m’invite fermement à en faire autant.
(1) Elle du 14 décembre.