La disparition du gobelet en plastique, touillette comprise, est une nécessité programmée. Cela résiste encore un peu, comme la semaine dernière au Sénat, où les industries concernées ont demandé quelques mois de grâce à messieurs les bourreaux écolos, mais ça devrait intervenir dès 2020.
Et l’on verra alors une mythologie du quotidien se faire écrabouiller par les battoirs manucurés des géants verts. Chaque nouvel abstinent prendra enfin conscience de la puissance de cette facilité perdue quand elle sera négligemment abandonnée à la déchetterie des symboles périmés pour cause de nocivité non recyclée.
A la machine à café, la culpabilité commence lentement à faire trembler l’index des inconscients qui continuent à exiger la descente impromptue du récipient mis au ban et l’injection automatisée du liquide brunâtre demandé.
L’animal condamné est pourtant d’une intelligence rare. Il a la métamorphose placide et la convivialité gondolée. Il chauffe les phalanges sans les brûler, se rétracte et se déploie au rythme de la nervosité de celui qui le tient entre ses mains. Il a l’utilité non clivée, origines familiales, géographiques ou sexuelles étant solubles dans ce pot mélangeur.
Elément de sociabilité, il vaut sésame en cas de prise de contact. Il est toujours facilitateur pour des badinages sans conséquences comme pour des tentatives de débauchage, même si la débauche forte de café est aujourd’hui proscrite. C’est parfois à se demander si ce plastique fantastique n’a pas surtout le chic pour se faire oublier et accepter au mieux. Doudou réconfortant, il est remède contre l’ennui. Dents limées, on en mordille le rebord en chiot pensif. Regard perdu, on en explore le puits sans fond pour une métaphysique caramélisée. Sadique, on en lacère les flancs et on en fait des lanières comme si on le destinait à une séance de martinet.
Le Grand Siècle contemplait la vanité humaine dans un tête à tête aigu avec des crânes d’obus assez obtus. Désormais, on siège en Rodin pensif, le nez dans le gobelet, comme si la vérité de nos vies s’y dévoilait au gré des marbrés de l’écume percolée.
Retour à la cafétéria qui, à Libération, se nomme désormais «tisanerie», preuve qu’ici infuse la rédemption biodégradable et le bien-être bouturé de bienveillance. Et tant pis pour les ricaneurs à godet réfractaire et polymère qui font valoir que détox terminologique ne vaut pas rehab.
Dans ce lieu charmant, les divas durables sont depuis longtemps passées au «mug». Le terme est évidemment anglo-saxon quand la variante française «moque» est passée de mode. Et ce d’autant que la version hexagonale peut laisser penser qu’on ironise, quand «mug» évoque plutôt le mugissement qui sourd des étables antispécistes, mais sans vacherie aucune. Car l’affaire est grave et l’urgence criante.
Ajoutons que «mug» rime avec «hug» et qu’il fait bon se prendre dans les bras pour une étreinte désexualisée, entre enfants conscients, et pas qu’un peu, de la menace qui pèse sur leur mère nature échauffée.
Accrochées à l’anse de leur ancien pot à crayons qu’il faut ensuite rincer si on ne veut pas que les microbes prospèrent et que l’hygiène dégénère, les stars du recyclable regardent avec une commisération affligée les déviants du PVC. Ces rustauds de la satisfaction immédiate, du gaspillage hédoniste et du «après moi le déluge» n’ont pas encore réformé leurs mauvaises habitudes. Et il n’est pas certain qu’ils y parviennent avant la mise au rebut législative des pailles, couverts, piques à steak, couvercles à opercule, bâtonnets mélangeurs et de tous leurs petits frères tricards de la bakélite, du nylon, de la silicone, du téflon, du kevlar et autres produits révolutionnaires du quotidien, désormais remis en question.
Dans les couloirs qui mènent aux bureaux paysagers, les mugs illuminés par la révélation décroissante coudoient les gobelets obscurcis de technologie maudite. Les adeptes des «mugs» défilent pensivement. Ils songent aux tortues qui boulottent des sacs-poubelles bleus en guise de méduses et souffrent avec les albatros du Grand Sud, à l’estomac brûlé par les granulés industriels qu’on nomme aussi larmes de sirènes. La tribu «gobelet», elle, a des préoccupations plus terre à terre. Elle se demande si, à chaque incursion sur les terrasses, les bistrotiers de demain consigneront les chopes incassables comme on fait déjà dans les festivals de musique. Ou, pire, s’ils feront comme les supermarchés qui se goinfrent en faisant mine de reverdir. Et qui, au lieu de fournir du contenant en papier, monnayent du sac… plastique à ne surtout pas oublier. Et que chacun s’empresse de perdre.