«Подвал». «Sous-sol, cave». Un lieu sordide, mortifère, secret, qui évoque dans l’imaginaire russe les exécutions sommaires menées par la police politique soviétique… Pendant les terribles mois de la Grande Terreur orchestrée par Staline en 1937-1938, toutes les grandes villes d’URSS ont eu leur échafaud souterrain, le plus souvent dans les prisons, dans lequel des dizaines de milliers d’hommes et de femmes furent abattus d’une balle dans la nuque à l’issue d’une session de dix-quinze minutes par une troïka du NKVD, sans autre forme de procès.
A un jet de pierres de la place Rouge et du Kremlin à Moscou, s'élève un de ces lieux d'extermination, au 23 rue Nikolskaïa, un immeuble construit au milieu du XIXe siècle dans lequel s'est installé en 1935 le collège militaire de la Cour suprême de l'URSS. 31 456 personnes y furent condamnées à la peine capitale, dont les écrivains Isaac Babel et Boris Pilniak, le dramaturge Vsevolod Meyerhold, les bolcheviks de la première heure Grigori Zinoviev et Lev Kamenev, des maréchaux et des hauts gradés du Parti, plus de cent professeurs… Les dépouilles étaient ensuite transportées jusqu'au monastère Donskoï, pour être incinérées. Autant de victimes sans sépulture des répressions staliniennes.
Parfum d’un genre particulier
Aujourd’hui, la Nikolskaïa, baignée de mille feux, est l’une des plus clinquantes et fastueuses rues marchandes de la capitale, entre boutiques de luxe et cafés gourmands. Elle fut le cœur battant de la Coupe du monde de foot de l’été 2018, fan zone alternative, qui vibrait nuit et jour des chants et danses des supporteurs… En suivant l’air du temps, le propriétaire du 23, l’homme d’affaires Vladimir Davidi, a décidé d’y installer une maison de mode et une parfumerie, malgré les efforts des descendants des réprimés et des ONG de défense de la mémoire des répressions de l’ériger en indispensable musée, pour honorer le souvenir des victimes.
Pour transmettre l'urgence de ce combat, le journal indépendant Novaya Gazeta s'est associé à l'agence Action pour créer un parfum d'un genre très particulier, «basé sur des événements réels». «N23», en tirage limité de 31 456 coffrets, un flacon en forme de balle de revolver, posé dans un peu de terre… «Il s'ouvre sur des notes de papier ancien et d'encre, qui servait à signer les arrêts de mort. L'histoire continue avec un arôme de sous-sol humide, vite remplacé par l'ingrédient principal - une puissante odeur de poudre à canon, qui peu à peu cède la place à des notes cendrées, pour laisser un arrière-goût amer», peut-on lire dans la note qui accompagne l'objet. «Ce parfum n'est pas pour le plaisir, explique la créatrice Alena Tsichinskaya. Mais pour donner à sentir les émotions que ressentaient ceux qui se trouvaient ici.» Pour Nikita Petrusiov, le directeur artistique d'Action à l'origine du projet, une «parfumerie de luxe et une maison d'exécution sont des concepts incompatibles».