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Chronique «Economiques»

L’économie mondiale, déjà malade du coronavirus

Chronique «Economiques»dossier
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’une épidémie perturbe le commerce international, et elle aura des effets sur tout le système économique.
(Illustration Libération)
publié le 17 février 2020 à 19h16

L’épidémie de coronavirus, désormais baptisé «Covid-19», vient nous rappeler que l’histoire de l’humanité est aussi celle des épidémies. De tout temps, les maladies infectieuses ont frappé les populations humaines, et les ont parfois décimées. Et de tout temps, l’activité économique a été aussi affectée par les pandémies qu’elle en a été un facteur déterminant. En ce qui concerne le Covid-19, il est encore très tôt pour estimer les pertes d’activité économique, mais tout indique qu’elles pourraient être très importantes. Même si à travers le monde, de nombreuses équipes de recherche travaillent à mieux comprendre ce nouveau virus et cherchent comment contrôler l’épidémie, on n’en connaît pas encore grand-chose.

En Chine où se concentre pour l’instant la très grande majorité des cas, les statistiques officielles publiées dimanche évoquaient 68 000 contaminations pour 1 669 décès. La mortalité serait donc bien moindre que pour l’épidémie de Sras de 2003 ; en revanche elle est bien plus contagieuse, chaque personne contaminée en contaminant à son tour entre deux et six, selon les estimations encore très imprécises. A ce stade, l’épidémie se diffuse avant tout dans les pays ayant le plus d’échanges commerciaux avec la Chine, et l’impact économique est déjà fort sur ces économies. Les déplacements de population, soit pour le tourisme soit pour se rendre au lieu de travail, se sont littéralement effondrés dans certaines régions. Outre les commerces de détail, dont beaucoup ferment par manque de clients, des usines sont également à l’arrêt. Et ces fermetures d’usines chinoises peuvent affecter des entreprises dans le monde entier : dans de nombreux secteurs, la chaîne de production est beaucoup plus internationale qu’il y a encore dix ou quinze ans ; la gestion à flux tendus, qui vise à réduire les stocks des pièces détachées, rend l’ensemble de la production plus sensible aux ruptures d’approvisionnement. En outre, même si les virus se passent de visas, le transport international, des pièces détachées comme du reste, est lui-même affecté par les restrictions qui se mettent en place dans de nombreux Etats qui visent à exercer un contrôle plus strict sur toute arrivée de biens ou de personnes dans le pays.

Le commerce international est en effet étroitement lié aux épidémies, et l'histoire de la peste noire du XIVe siècle atteste que ce phénomène n'est pas nouveau. Venue d'Asie, déjà, elle commença sa diffusion au début des années 1330 en Chine et en Mongolie, diffusion favorisée par la guerre qui agitait ces deux empires. Les Mongols assiégèrent le comptoir génois de Caffa, en Crimée ; et c'est à l'occasion d'une trêve de ce siège en 1346 que des bateaux génois purent quitter la mer Noire, ramenant dans leurs cales non seulement de précieuses marchandises mais aussi les rongeurs portant le bacille de la peste. Tous les ports d'escale furent frappés, et l'épidémie se diffusa rapidement en Europe, ainsi qu'en Afrique du Nord et au Proche-Orient. En Europe, on estime qu'elle tua entre 30 et 50 millions de personnes, soit entre un tiers et la moitié de la population de l'époque. Naturellement, les conséquences sociales, politiques et économiques furent considérables. Alors que l'abondance de la population avait, au début de XIVe siècle, conduit à une baisse de la rémunération du travail, la saignée démographique de la peste noire entraîna une forte hausse de cette rémunération et modifia en profondeur le rapport de force entre les travailleurs et les propriétaires terriens, dont les exploitations agricoles manquaient cruellement de bras. L'effondrement de la population entraîna également une chute brutale des loyers et du prix des logements. Le travail était devenu beaucoup plus rare que le capital, et les valeurs relatives de l'un et de l'autre en furent fortement affectées.

Naturellement, on ne peut attendre, et encore moins espérer, que l’épidémie de Covid-19 frappera une part si grande de la population qu’elle entraînera de tels bouleversements démographiques, économiques, et sociaux. Mais, surgissant à peine quinze ans après l’épidémie de Sras, elle peut faire prendre conscience que les pandémies ne sont ni des histoires passées ni des événements rares, et qu’une organisation de la production où chaque produit fini repose sur des biens intermédiaires fabriqués dans de nombreuses régions différentes du monde, devant être transportés pour être assemblés, n’est pas nécessairement la meilleure solution, ni la moins risquée, pour réduire les coûts.

Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Ioana Marinescu.