Menu
Libération
Chronique "Politiques"

Les gouvernements populistes et la crise

Chronique «politiques»dossier
Les exécutifs des démocraties ne sont pas infaillibles, mais contrairement à leurs homologues populistes, ils écoutent les experts, entendent les oppositions. Et comprennent qu’ils ne réussiront qu’en coordonnant leurs efforts.
( )
publié le 1er avril 2020 à 17h21

C’est dans les crises que les caractères se révèlent, dans l’épreuve que l’on juge les gouvernants. Cela vaut pour les dirigeants démocratiques qui font en permanence l’objet de débats serrés et sévères. Cela vaut, a fortiori, pour les dirigeants populistes qu’une forte houle a portés récemment au pouvoir. Pour eux, il s’agit du premier grand test de leur aptitude, du premier grand examen concret de leur performance. Le résultat est accablant. On se doutait bien que la démagogie et le nationalisme qui leur ont valu la victoire ne les préparaient pas à l’exercice des responsabilités. On n’imaginait pas que leur faillite serait aussi immédiate et spectaculaire.

Donald Trump a donné le ton, comme il se doit pour le populiste le plus puissant et le plus célèbre du monde. Son aveuglement et son inaptitude ont éclaté aussitôt au grand jour. Il a commencé par nier l’existence même de la pandémie, puis par la sous-estimer à tel point qu’il y a quelques jours, il proclamait encore que les églises et les temples pourraient être pleins sans risques pour Pâques. On le savait climatosceptique, on le découvre coronasceptique. On connaissait sa forfanterie, on vérifie son impéritie. Selon l’OMS, les Etats-Unis vont devenir le prochain foyer de la pandémie. La faute de Donald Trump est gigantesque. Comme toujours devant les obstacles, il a cherché à se défausser en désignant un bouc émissaire à l’étranger, d’abord la Chine, puis l’Europe. Comme toujours, au nom d’«America First», il a renié ses alliances, décrétant sans préavis la fermeture de ses frontières aux Européens, puis tentant cyniquement de s’assurer l’exclusivité de certains équipements sanitaires fabriqués sur le Vieux Continent. Son bilan face au coronavirus sera terrible : peut-être 100 000 morts, si l’on en croit les estimations, ainsi qu’un fléchissement notable du poids des Etats-Unis face à la Chine. Humainement dévastateur, politiquement consternant : un fiasco.

Son ami Bolsonaro n’a pas fait mieux. Lui aussi a nié contre toute évidence les risques du coronavirus. Lui aussi a perdu des semaines, invoquant des arguments infantiles comme la jeunesse ou la virilité de sa population. Pour la première fois, sa popularité vacille. Si celle de Donald Trump résiste bien jusqu’ici - «effet drapeau», selon les spécialistes de l’opinion -, le choc humain, puis la lourde crise économique qui s’annonce, enfin la vulnérabilité de dizaines de millions d’Américains privés de protection sociale vont fortement compliquer sa campagne présidentielle. Son inaptitude et son inconséquence pourront difficilement être masquées. Son ami Boris Johnson, certes plus subtil, plus cultivé et plus cohérent, a lui aussi refusé l’évidence plus longtemps que de raison, puis a imaginé que le Royaume-Uni, dans sa singulière grandeur, pouvait s’exempter du confinement quand toute l’Europe (sauf les Pays-Bas et la Suède) se l’imposait, pour finalement avouer que six mois de désastre étaient inévitables.

A force de tricher perpétuellement avec les faits, les gouvernants populistes finissent apparemment par croire à leurs propres mensonges. La tentation de l’autoritarisme voire de l’autocratie les saisit de nouveau dans la crise et leur nationalisme les aveugle. Les deux gouvernements de l’Union européenne dirigés par les populistes l’illustrent une fois de plus. En Hongrie, Viktor Orbán se saisit de l’épidémie pour imposer le recours aux ordonnances sans limitation de temps, ce qui en somme équivaut à un article 16 permanent et presque à un consulat, le tout en contradiction flagrante avec les règles européennes. Quant à la Pologne, elle a préféré se claquemurer et s’opposer le plus possible aux mesures de solidarités européennes en débat. Egoïsme national d’abord. De son côté, Vladimir Poutine, occupé à organiser sa réélection pour deux mandats de plus, a ignoré la pandémie malgré l’angoisse croissante des médecins et experts russes.

Faute de libre débat, faute de respect des oppositions, les gouvernements populistes s’enferrent. Les exécutifs des démocraties ne se montrent, certes, pas infaillibles ou précurseurs - quel gouvernement le serait ? - mais contrairement à leurs homologues populistes, ils écoutent les experts, ils entendent les oppositions, ils rendent des comptes à leurs citoyens et ils corrigent progressivement leurs erreurs face à cette crise sans précédent depuis la Première Guerre mondiale.

De plus, ils comprennent, pas tous au même rythme, certes, que pour sortir de la crise économique qui est en train de naître de la crise sanitaire, ils ne peuvent réussir qu’en coordonnant leurs efforts, en balayant leurs totems, en osant ce qu’ils s’interdisaient et en voyant grand. D’autant plus que face à eux aussi le populisme menace. L’angoisse née du coronavirus, le spectre de la crise économique implacable à venir constituent un terrain redoutablement fertile pour l’univers de mensonges, de fantasmes, de calomnies, de rejets et d’orages irrationnels dont chez nous Marine Le Pen est l’éternelle bénéficiaire et l’inquiétant visage.