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Libération

Emmanuel Macron et le jour d’après

La crise qu’affronte le gouvernement est sans précédent. Jamais tout le pays n’a été confiné et immobilisé de cette façon. La tâche sera d’autant plus rude que l’union nationale n’est qu’une chimère.
publié le 15 avril 2020 à 18h56

En concluant son meilleur discours depuis le début de la pandémie du coronavirus, Emmanuel Macron a lancé : «Sachons nous réinventer. Moi le premier.» Cela tombe bien, car le chef de l'Etat se trouve au pied du mur. Tout l'engage, tout le pousse, tout le contraint à se réinventer. La crise qu'il doit gérer et, s'il le peut, piloter, n'a pas de précédent. Jamais toute la population d'une nation n'a dû se confiner, jamais l'économie d'un pays n'a dû s'immobiliser, jamais, a fortiori, un phénomène de cette ampleur ne s'est produit à l'échelle planétaire. Ce que nous vivons, ce qu'Emmanuel Macron doit affronter, c'est une crise monstrueuse et totalement inédite. Les recettes classiques ne sauraient en aucun cas suffire. Le président de la République ne peut qu'innover radicalement. Le jour d'après ne peut pas être gouverné comme le jour d'avant. Ce n'est pas un choix, c'est une nécessité.

Emmanuel Macron va donc devoir mener de front trois actions : une politique sanitaire périlleuse, puisqu’il s’agira de sortir progressivement du confinement sans relancer l’épidémie, sans provoquer la très redoutée seconde vague de la pandémie. Cela pose notamment la question des modalités de la réouverture des écoles, collèges et lycées et du retour au travail, lui aussi progressif, de salariés, d’artisans, de commerçants dans des conditions de sécurité acceptables. Une expérimentation sans mode d’emploi. Simultanément, il faudra remettre en mouvement une économie anesthésiée et même plongée dans un coma artificiel. Le coût sera phénoménal, comparable seulement à la situation des lendemains de guerre. Il faudra inventer des dommages de pandémies, comme il y eut des dommages de guerres, sauver les entreprises du naufrage et venir en aide à tous ceux que le coronavirus aura privés de leur travail. Cela ne saura de surcroît réussir que si une coordination européenne ambitieuse, efficace et rapide - il y a peu de précédents - se met en place pour ressusciter la croissance. Un plan Marshall sans l’aide américaine. Enfin, et toujours simultanément, il faudra engager, sans attendre un instant, les grandes réformes promises à l’hôpital et aux soignants, aux enseignants et aux Ehpad, à la révolution écologique et aux territoires déshérités. Un travail d’Hercule auxquels les oppositions politiques, le patronat et les syndicats ajoutent de surcroît dix exigences supplémentaires. Dans pareilles circonstances, mieux vaudrait au palais de l’Elysée un demi-Dieu plutôt qu’un simple mortel.

D’autant plus que si, au lendemain des guerres, le pouvoir politique dispose d’une énorme marge de tolérance, avec un bref moment d’union nationale, une capacité d’endettement sans borne, le recours classique à une forte inflation, la sortie de crise du coronavirus ne bénéficiera pas, elle, de pareilles facilités. La dette va s’accroître brutalement mais n’en sera pas moins sous la surveillance des marchés, donc des taux d’intérêt. L’inflation est aujourd’hui un souvenir. Quant à l’union nationale face à la pandémie, c’est une chimère. Les oppositions prennent déjà date et fourbissent leurs dagues. La rentrée s’annonce beaucoup plus comme la saison des règlements de comptes que comme celle de l’unité retrouvée. Il n’y aura pas de pacte républicain. Par ailleurs, handicap plus sérieux, les tensions sociales menacent, l’antagonisme entre le patronat et les syndicats se réveillent avant même que le confinement ne s’achève. Au lieu de se réinventer aussi face à un drame pourtant si imposant, ils retrouvent au contraire leurs antiques réflexes pavloviens, baisser les impôts de production et allonger la durée du travail d’un côté, augmenter les salaires et annuler les réformes d’avant crise pour les autres. Une scène mille fois jouée, assurément pas une réponse à la gravité de la situation. Enfin, handicap ultime, une confiance des Français envers Emmanuel Macron et le gouvernement extrêmement vacillante. Bref, dans sa réinvention Emmanuel Macron n’a pas beaucoup d’alliés.

Son originalité - qui peut d'ailleurs l'aider à précipiter sa mue - est que depuis son élection, Emmanuel Macron n'a connu que des crises. L'affaire Benalla, insignifiante au regard d'aujourd'hui, les gilets jaunes, une jacquerie qui a brusquement ouvert les yeux de beaucoup sur un désarroi social mêlant sentiment d'abandon, peur du déclassement, isolement, marginalisation, rancœur et colère, puis la longue bataille des retraites. Emmanuel Macron est le premier président de la Ve République à n'avoir connu que tensions et difficultés : un président hétérodoxe face à des situations hétérodoxes. Tous ses prédécesseurs ont traversé des éclaircies. Lui n'a été que de réformes en combats, d'affrontements en épreuves de force. Au moins est-il entraîné à faire face à ce qu'il a parfois déclenché et parfois subi ; au moins ne craint-il pas d'innover ou de surprendre. Il sait bien qu'après les guerres (Clemenceau et Wilson après la Grande Guerre, Churchill et De Gaulle après la Libération, Bush et Blair après la guerre d'Irak) ou bien qu'après les grandes crises politiques (Pompidou après 1968, Gorbatchev après la perestroïka), les vainqueurs deviennent presque systématiquement les vaincus. Tout converge donc pour tenter l'impossible. Sur ce plan, personne ne peut être mieux préparé et plus incité qu'Emmanuel Macron à se réinventer.