Depuis trente ans, ce corps si chétif dirige une escouade de maniaques et de sorcières. Lové dans le fauteuil de velours grenat d’un grand hôtel, Dario Argento a fini son thé au citron. Dans ses films, des tueurs gantés de cuir noir enfoncent méthodiquement des lames dans les chairs de jeunes femmes au regard convulsé. Cisaillent leur gorge, ébouillantent leur visage, déchirent leur poitrail. Parce qu’ils sont fous, bien sûr, mais surtout pour la beauté du geste. Car Argento est un perfectionniste. Styliste, formaliste, maniériste, comme on veut.
Rien à voir avec les tâcherons du gore, même si l'artiste voisine avec eux dans les rayons «horreur» des vidéoclubs. Le sang et les cris sont chez lui au service du bel ouvrage: «Quand des gens viennent me voir après un film pour me dire "c'est beau, je suis anxieux et triste, car je sais que ça ne l'est pas suffisamment, qu'il faut recommencer.» Alors, Argento reprend inlassablement ses mises à mort, comme un motif, une forme, ou, mieux, une «cérémonie» à parfaire. Dès son premier film, l'Oiseau au plumage de cristal (1969), la patte était assurée: cadres minutieusement composés, ritournelle lancinante, images à double fond, intrigue lacunaire qui préfère l'incongru à la vraisemblance. Et des meurtres.
Sa maîtrise détonne alors avec le dilettantisme des films noirs transalpins, les gialli. Dans les années 70 et 80, il fascine toute l'Italie avec ses sanglantes chorégraphies, aligne les succès (dont Profondo rosso et Suspiria, salués