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Libération
En quête du spectateur (4).

La méprise

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A l'occasion d'une enquête ethnographique qu'ils mènent sur les publics de Cannes, des chercheurs de l'université d'Avignon et de l'Ecole des hautes études en sciences sociales nous livrent chaque jour une page extraite de leur carnet d'observation.
publié le 17 mai 1999 à 1h03

Samedi, cinq heures. Deux filles plutôt boulottes prennent un thé citron, à la terrasse du Blue Bar. Elles ont payé l'addition aussitôt que le serveur a apporté les deux tasses et un pot dont dépassent, humidifiées, les languettes des sachets. La plus petite, une brune, éveillée sans être aguicheuse, feuillette le numéro de mai de Première, dont plusieurs pages semblent être marquées au surligneur rose. Elle a gardé à l'épaule un sac tricoté de couleurs vives, style latino-américain usé, plutôt incongru ici. La seconde a l'air apeuré, comme si elle craignait un mauvais truc. Elle tient assez fermement sur ses genoux un Canon EOS, son regard va et vient de l'appareil vers la foule plutôt dense qui remonte la rue. Un garçon, visiblement du coin, essaie d'engager la conversation. Il se rapproche de la brune, lui murmure quelque chose à l'oreille, elle serre son appareil sur ses genoux. Le type n'insiste pas, les occasions ne doivent pas manquer, il n'a pas l'air d'y croire lui-même tant son approche est routinière.

La brune revient à son magazine, tout en levant les yeux régulièrement. On entend à peine ce qu'elles disent. Elles attendent quelqu'un sans doute. Elles ne draguent pas, c'est évident. On jurerait qu'elles n'ont rien à voir avec le cinéma, ni de près, ni de loin, ni dans leurs fantasmes, ni dans la vie. Deux fonctionnaires célibataires qui viennent sur la Côte en avant-saison, et en profitent pour passer l'après-midi à Cannes? Invérifiable, mais plausible. Elles se l