Quelques heures après l'avoir regardé traîner son spleen mortifère dans le New York déserté de Ghost Dog, la voie du samouraï, c'est presque un choc de voir Forest Whitaker sourire. Au demi-jour d'un salon du Carlton où il semble flotter dans un habit de gaze immaculé, ses traits ont retrouvé leur élasticité juvénile. Il faut de longues minutes pour saisir au vol l'expression de tristesse intense et figée que Jim Jarmusch a été chercher dans les crevasses et la curieuse dissymétrie (un oeil ouvert, l'autre mi-clos) d'un visage tout en rondeurs. «J'ai mis longtemps à m'habituer à l'idée d'un rôle de grande solitude où je parlerais à peine, dit l'acteur enthousiaste et volubile. Je l'ai approché par la méditation. Pendant le tournage à New York, je partais marcher seul avec mon sabre. J'essayais de vivre retiré, en compagnie d'un oiseau et de livres de philosophie orientale.» Frustré de grands rôles («quatre en dix ans, au mieux»), Forest Whitaker s'est laissé happer par l'expérience «mystique» de Ghost Dog dans le plus pur style du method acting. Il en ressort «nourri» et détaché, à des années-lumière du jeune interprète de Bird qui avait mis des mois à quitter la peau de Charlie Parker. Comme le musicien à la fin de sa vie, Whitaker avait alors l'impression d'avoir été «vidé de son âme» et qu'il ne saurait plus jouer malgré le prix d'interprétation rapporté de Cannes en 1988. Méditer et se protéger. Avant même d'écrire son film, Jim Jarmusch a manifesté son désir de tourner
Portrait
Forest whitaker. Acteur, interprète principal de «Ghost Dog», de Jim Jarmusch
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par Laurent RIGOULET
publié le 20 mai 1999 à 1h07