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Libération
Critique

«Rosetta», d'urgence.

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Par les frères Dardenne, le portrait d'une jeune femme en insurrection, contre la misère, le chômage, l'injustice. Un chef-d'oeuvre dûment récompensé par la palme d'or.
publié le 24 mai 1999 à 1h08
(mis à jour le 24 mai 1999 à 1h08)

Il restera quelques portraits de femmes dans l'histoire du cinéma: la Jeanne de Dreyer, la Wanda de Barbara Loden, la Mouchette de Bresson, la Sue d'Amos Kollec" et désormais la Rosetta de Luc et Jean-Pierre Dardenne. Ce n'est pas pour intimider que l'on accroche Rosetta au train de cette antériorité prestigieuse. Ce n'est pas non plus une manière de domestiquer le choc, d'anesthésier la collision avec une aussi puissante et nouvelle inconnue. Si la jeune Rosetta d'un seul coup de cinéma rejoint ces grandes soeurs, c'est parce qu'il y a une coïncidence troublante entre tous ces prénoms de femmes sans nom et des films qui peuvent prétendre au chef-d'oeuvre, c'est-à-dire à l'intempestif le plus secouant. Plus exactement, c'est peut-être l'inverse que souligne cette récurrence: il faut que le cinéma des hommes en passe par-là, par ce minimum d'identité irréductible, pour qu'il puisse capter un peu de la singularité féminine.

Dans nos civilisations grammaticalement masculines, une femme s'appelle comme son père ou comme son mari. Rosetta se nomme comme personne. Et c'est tout un monde. Un prénom qui claque au vent de l'imaginaire, un prénom où il y a du «a» comme une bouffée de Méditerranée soufflant en Europe du nord: la Rosetta comme on dit la Sicilia. Un prénom et aussi un visage que les frères Dardenne n'en finissent pas de dévisager. Pas du tout pour le gêner, le faire rougir, lui faire baisser les yeux, le défigurer par l'instance de leur caméra, lui faire avouer ses secret