Il fait mine de demander à la serveuse si les plats ne sont pas trop gras: «Je suis au régime.» Tandis qu'elle s'éloigne, il la suit d'un oeil égrillard, avant de tonitruer: «Contrairement à ce qu'on dit, le harcèlement sexuel ne vient pas de l'homme. Le pauvre type qui voit ça, il ne peut pas se contenir.» Calé sur la banquette d'un bistrot basque du boulevard de Strasbourg, Lacoste bleu ciel et braguette de traviole, Galabru commence par surjouer la gaudriole. Il grommelle en parcourant la carte, cite Jules Renard à moins que ce ne soit Guitry: «Le grand malheur des hommes qui ont aimé les femmes, c'est de les aimer toujours.» Retour de la serveuse. Il soupire en contemplant à nouveau le menu, opte pour du «diététique»: une piperade, une cassolette de calamars" plus un osso bucco. «Il n'y a pas de sauce, au moins?» Il fait lui-même la réponse («Oui, enfin, bon, pas trop»), se plaint encore «Je n'ai plus le droit de boire», tend la carte des vins: «Tenez, choisissez, je vous accompagnerai.» Et toujours sur le même ton, comme pour en faire profiter le bistrot entier, enchaîne sur son âge (il paraît beaucoup moins que ses 75 ans): «Ça passe comme un éclair. Je me sens toujours jeune, mais dans une vieille voiture.» Il parle, il dévore, il sourit: il est sur la défensive. C'est un flot qu'aucune question ne peut canaliser, ponctué de salves de «alors, alors, alors!», avec cette longue accentuation sur le «a» qui lui fait ouvrir la bouche toute ronde et respirer trop fort,
Portrait
Michel Galabru. L'ogre de barbarie.
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par René Solis
publié le 9 octobre 1999 à 1h06
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