Sitôt le Dogme sur rails, Lars von Trier saute du train en marche et réalise une comédie musicale autour de la pop égérie Björk. Malgré sa floraison de ballets et de chansons (toutes choses absolument proscrites par les tables de la loi Dogma), Dancer in the Dark ne marque pas pour autant un quelconque repli du trublion danois vers un cinéma plus pantouflard. Il prolonge au contraire la méthode expérimentée avec les Idiots et la télescope à un récit proche de Breaking the Waves. Ce nouveau portrait de sainte martyre offrant son corps pour accomplir un miracle est entièrement tourné en DV, avec cadres flottants, montage heurté, faux raccords à foison et acteurs en semi-impro. Le film s'essaie à un grand écart acrobatique entre fantasme de pur cinéma hollywoodien, tendance le Magicien d'Oz ou la Mélodie du bonheur, et quelque chose de plus indéfinissable, une forme mutante tenant à la fois de l'art vidéo, du cinéma amateur, de la vidéodanse et de la performance.
Au coeur de la mêlée. L'histoire est pourtant on ne peut plus classique. Selma (Björk) est une immigrée tchèque trimant en usine dans l'Amérique des années 60. Une maladie la rend progressivement aveugle, et son fils lui aussi est menacé de cécité. Selma économise sur son maigre salaire pour payer à son garçon l'opération qui guérira ses yeux. Ce pourrait être un récit d'Hector Malot, un roman-photo à l'eau de rose ou la trame d'un film muet interprété par Lillian Gish (les Deux Orphelines, le Lys brisé