Roland Barthes, découvrant une photographie du frère de Napoléon, eut cette intuition sublime: «Je vois les yeux qui ont vu l'empereur!» A croiser dans un café de Saint-Germain-des-prés, le regard enflammé de Jonas Mekas, pâle jeune homme de 78 ans (né le 24 décembre 1922), on pourrait s'en tenir là: «Je vois les yeux qui ont vu, filmé, Warhol, John Lennon et Yoko Ono, Jackie Kennedy et Carl Th. Dreyer, le Velvet Underground et Allen Ginsberg, Henri Langlois, Nicholas Ray et Dali...». De ce name dropping infini qui parcourt l'oeuvre filmée de Mekas, le cinéaste ne fait pourtant pas cas, encore moins manière. Au point que quelqu'un eut un jour cette phrase: «Il filme sa mère exactement comme il filme Warhol.»
En écho aux Lumière. Evidemment, c'est l'inverse qui est vrai: Jonas Mekas filme, depuis 1949, les icônes de l'Amérique pop avec la même modestie amoureuse avec laquelle en 1971, retournant après vingt-sept ans d'exil en sa Lituanie natale, il filmera sa maman, paysanne usée par le siècle. Le film s'appelait Réminiscences d'un voyage en Lituanie. C'est le noeud de toute son oeuvre, le centre névralgique d'un journal filmé entamé ce jour de 1949 où, débarqué à New York avec son frère Adolfas, ils achètent une petite caméra Bolex 16 millimètres. Jonas Mekas en usera trois jusqu'à aujourd'hui, où il s'attaque désormais à épuiser les batteries de caméras vidéo : «Vidéos et films sont à traiter de façon différente, presque contraire. J'utilise la bande vidéo d