C'est un inattendu et, en effet, fabuleux destin que celui de ce film: plus de 3 millions d'entrées en trois semaines, des louanges dithyrambiques jusqu'aux Etats-Unis, où Variety y voit «un événement dans l'histoire du cinéma». A quelques bémols près, bien sûr: un journal français reproche à mots couverts au réalisateur, Jean-Pierre Jeunet, d'avoir fait un film sympathique sur la France, «pays médiocre au lourd passé collabo»; dans un autre, on nous explique qu'évoquant un Paris «sans caillera ni tag, il a un je-ne-sais-quoi de nostalgique qui fait le jeu du FN»; le d'habitude-plus-avisé mensuel Technikart le fusille d'un adjectif: «populiste»; last but not least, le Festival de Cannes le snobe.
Que peut donc dire, ou plutôt montrer, le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain pour susciter un tel engouement et, à la marge, une hargne aussi sotte? Le peuple, simplement. Quand toute la vulgate des «élites» françaises diffuse un mépris teinté de crainte pour les habitants de ce pays, avec son triptyque géographique beaufs-beurs-ploucs, ce film évoque les «gens de peu» avec tendresse et respect. Mêlant la poésie de Prévert à l'esthétique de la pub, la mélancolie de Trenet à l'esprit branchouille de la rue Oberkampf, la naïveté d'un Tati aux chansons de Souchon et de Gainsbourg, il donne à voir des gens aimables, abîmés certes par la vie, désenchantés, parfois mesquins, mais qui vont pourtant connaître cette forme de rédemption qui s'appelle le bonheur.
La buraliste Voici, le macho aigri