Il paraît qu'il est fatigué, sous le bronzage du dernier voyage en Afrique. Le cancer au creux des reins, les médicaments, les dix kilos envolés. Et pourtant il joue, charmeur et charmant. Du grand Giraudeau sur toile cirée, entre deux scènes du prochain film. Encore une histoire d'hommes et de bateau, sur le Vieux-Port, à portée de calanques. Il y va «rêver», muscles à l'arrêt. Un regard sur la mer, un regard sur la falaise. Grimpeur et marin, il n'a jamais su ce qu'il préférait, la vague sous la quille ou le rocher au bout des doigts. La maladie, «avertissement», l'oblige à ralentir: «C'est une très bonne chose, qui me prévient d'une dérive. J'étais dans la suractivité.» La tête chauffe déjà d'un projet de roman. Il a découvert l'écriture qui «embellit la vie», les mots précis comme des épissures et les phrases comme autant d'escalades. Cancer, n'est-ce pas un tropique? «Un nouveau bateau», assure Giraudeau, «un de plus». Il s'y attendait.
Jusque-là, c'était grand beau. Un grain et on repart, racontait Bernard à Roland. Son ami était arrimé à un fauteuil roulant, le centre de myopathes pour horizon, et lui courait le monde. «Moi qui bouge, toi qui restes», Bernard peignait ses voyages, le «marin à l'ancre» rêvait. A sa mort, il avait lu du pays. Quatre cents lettres, dix ans de baroud, plus les souvenirs. Un jour, le centre a renvoyé les lettres, Bernard Giraudeau a décidé d'en faire un livre (1) juste après le premier janvier. Quand à son tour, il s'est retrouvé à l'ancre.