Franchement, on pensait qu’il ne viendrait pas. Trop de rendez-vous manqués, de mots qui ne voulaient pas sortir. Non que Jean-Pierre Léaud soit un homme dilettante ou un acteur capricieux. Au contraire, sur un tournage, on a rarement vu personne plus concentrée, plus impliquée: sa présence est frontale, directe. Parfois, cependant, il s’absente. Il est ailleurs. Dans ces moments, personne ne peut lui parler, pas même le voir. Et si Jean-Pierre Léaud a raté des rendez-vous, c’est pour cela: quelque chose qui le submergeait, soudain, et l’obligeait à fuir, très loin ou en lui-même, en tous les cas hors des lieux où l’on cause. Cette chose qui impose le silence, c’est la mort de François Truffaut, en 1984.
La figure est restée inachevée. Jean-Pierre Léaud, le premier des orphelins de Truffaut, est depuis suspendu au-dessus du vide, comme arrivé au milieu d’un pont qui n’aurait pas trouvé sa véritable fin. Parfois, même, il est tombé, s’enfonçant profondément dans la douleur des souvenirs trop tôt interrompus. Parfois, il remonte à la surface de cette mémoire, pour vivre un peu, pour tourner, avec Breillat, Garrel, Dubroux, récemment avec un tout jeune cinéaste, Bertrand Bonello et son Pornographe, où il incarne si fort un pan de l’histoire du cinéma. C’est cette histoire qu’il a prise de plein fouet ce jour maudit d’octobre 1984 où François Truffaut est mort. Depuis, en bientôt dix-sept ans, Jean-Pierre Léaud n’avait jamais pu parler de «ça», de «François»,