Après les ressacs désordonnés de Cannes, ses décalages psychohoraires permanents, la lecture de Craques, coupes et meutes raciales (A Crackup at the Race Riots) de Harmony Korine (1) offre une occasion de redescente progressive vers l'anormalité du monde. Hachées, protéiformes,pandémoniaques, biffées, lapidaires et blanchies de vides à la Blanchot, les pages désaxées du cinéaste-poète-acteur-diariste-vidéaste-photographe-morveux-défoncé-cool-
ingérable-comique-schizo déplacent, lorsqu'on les tourne, autant d'échos possibles aux éclats brisés du grand miroir cannois.
Les morceaux organisés de textes qui composent le livre ont un don kaléidoscopique : ils ont un humour radieux, une musique triste et des couleurs gaies. Leur épicentre est obstinément le cinéma : sous la forme d'une anecdote hollywoodienne, d'une citation de Carax à propos de la Nuit du chasseur, de pitchs pour scénarios fantômes (une pléthore, une pagaille, une caverne d'Ali Baba) ou d'un aperçu rapide sur la quéquette de Burt Lancaster, toutes fictions et réalités mêlées.
Ce cinéma, qui occupe le trône du mental korinien, n'est surtout pas le cinéma comme «septième art», encore moins comme fantasme artiste et bourgeois de réussite sociale ou de reconnaissance culturelle. C'est l'arbre de Noël intime et en partie synthétique, véreux, impur, du garçon malade Harmony Korine. C'est sa toile d'araignée perso si on préfère, maintenant que Cronenberg a donné avec Spider le premier film se permettant d'établir ce concept