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Libération
Critique

Un outre-monde ado

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«Ghost World» dépasse la simple comédie nihiliste.
publié le 5 juin 2002 à 23h50

«Comme du velours dans de la fonte» est le titre à relents porno d'un des comics de Daniel Clowes. Ghost World, qu'il a écrit en parfaite symbiose avec Terry Zwigoff, avance pareillement carapaçonné de cynisme, de colère authentique contre le monde marchand qui occupe désormais chaque recoin de la vie américaine, chaque devant T-shirt, chaque devanture de magasin de banlieue clonée. Mais cette colère est comme ouatée dans l'ennui, une lutte aussi mal définie que perdue d'avance. Avec Ghost World, on se trouve dans une ville américaine générique ; idem l'insatisfaction et l'oppression : ni dramatiques ni véritablement insupportables.

Calme et carré. La rébellion de ces filles n'est pas à chercher à la maison. Rebecca n'a ni background ni vie de famille (des parents en Floride, une grand-mère aimante qui l'a élevée, tous escamotés au montage) ; Enid fait ce qu'elle veut dans l'espace de survie qu'elle s'est créé, avec un père aussi coulant que lamentable. La difficulté, sinon l'impossibilité, d'être différent dans un monde où le slogan «Think different» veut justement dire le contraire, est le sujet du film. Et le vrai crève-coeur, c'est que ces deux adolescentes réalisent graduellement qu'elles font aussi partie du monde, qu'elles ne peuvent plus rester dans la bulle protectrice de l'enfance. Seymour, le pathétique célibataire voûté à cardigan vert poireau, que Steve Buscemi parvient à rendre poignant (c'est son meilleur rôle à ce jour), lui, a essayé à sa manière, et s'y est