Cet entretien avec Chantal Akerman est singulier. Car elle nous parle avec sa double casquette de réalisatrice et, depuis peu, d'artiste. Akerman était sélectionnée au dernier Festival de Cannes, pour un documentaire, et à la manifestation quinquennale d'art contemporain, la Documenta de Kassel, pour une installation. Ce film et cette installation avaient le même nom, From the Other Side, mais ce n'était pas la même chose, même s'ils portaient tous les deux sur «ce qui passe» et «ce qui se passe» à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
La onzième Documenta a d'ailleurs consacré, après la Biennale de Venise l'an dernier (où Chantal Akerman était déjà présente), l'entrée massive du cinéma et des cinéastes dans le champ des expositions d'art contemporain. Inversement, au Festival de Cannes, Anna Sanders Films, compagnie émanant d'un centre d'art contemporain (Le Consortium, à Dijon) a produit le film thaï qui a remporté le prix Un certain regard, Sud Senaeha (Blissfully Yours), d'Apichatpong Weerasethakul. Ce «versement» du cinéma au registre de l'art, et réciproquement, est certainement l'un des faits importants de ces dernières années. Non sans poser quelques questions. Celle du temps, d'abord : il faut trente secondes pour voir un tableau, une heure et demie au moins pour un film. L'autre enjeu, pas du tout subsidiaire, relève d'économie, de marché, de consommation et de publics. Dès qu'il entre dans le champ de l'art, en effet, tout film va se transformer en «pièc