Salò a marqué le cinéma. Beaucoup disent être sortis transformés de ce film, comme s'il avait été une rupture dans leur existence en même temps que dans l'histoire. Trois témoins racontent.
Henry Chapier, 69 ans, critique de cinéma.
«Salò, en novembre 1975, a été présenté au Festival de Paris sous les auspices de Michel Guy, ministre de la Culture de Giscard. Le 31 octobre, je suis allé chercher à Rome Pasolini et son producteur, l'avocat Grimaldi, pour une préprojection devant le ministre. C'était le vendredi soir, aux studios LTC de Paris. En sortant, Michel Guy a discuté avec Pasolini. Il était embêté, craignant un scandale lors de la séance officielle à Chaillot. Mais il s'est laissé convaincre par l'argument de l'"extraterritorialité" d'un tel festival, qui devait être, selon lui, un sanctuaire pour les oeuvres d'art. Il était très ouvert pour un homme de droite. Il a promis que pas une image ne serait retirée, pas une seconde censurée. Pasolini est rentré à Rome. Il a été assassiné dans la nuit du samedi à dimanche suivante. C'était un meurtre politique ; il savait qu'il existait un contrat de la Mafia sur sa tête. Car il travaillait alors sur un rapport à propos de la prostitution masculine, un marché du sexe contrôlé par la Mafia.
«A la projection de Salò, à Chaillot, ce fut l'émeute, portes défoncées, salle bondée et surchauffée. Bertolucci, Laura Betti, Pontecorvo, Bellocchio, Liliana Cavani, Davoli étaient venus de Rome à leurs propres frais, pour protester contre le massacre d'un cinéaste et soutenir le fil