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Libération
Critique

Sur un scénario de Borges

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L'Argentin Hugo Santiago a tourné «Invasion» en 1969.
publié le 9 octobre 2002 à 1h21

Dès les premières images d'Invasion, l'ambiance, exprimée par une magnifique photo noir et blanc de Ricardo Aronovich, est étrange. Des hommes élégants et quelques femmes qui ne le sont pas moins se croisent dans une ville nommée Aquilea. Cette métropole imaginaire ressemble diablement à Buenos Aires. La crise éclate. Des envahisseurs prennent le contrôle des lieux. Comme une dérive «borgésienne» dans une ville qui se vide, la résistance à un ennemi cruel se met en place.

Lutte à mort. Les adversaires en costume cravate se cherchent, échangent des discours élégants, s'entre-tuent. Un vieil homme de fer, don Porfirio, qui aime caresser son chat noir, qu'il appelle Wenceslas N., organise la clandesti nité. Il dirige une poignée d'hommes qui se réunissent dans les cafés, échangent des regards furtifs et des silences, organisent des filatures et des coups de main. Ils lutteront «jusqu'à la fin, sans soupçonner que le combat est infini». Et puis soudain, dans un bar, un musicien joue la terrible Milonga de Manuel Flores, musique d'Annibal Troilo, paroles de Jorge Luis Borges. Il prend en quelque sorte la place du choeur dans la tragédie grecque : «Pour les autres la fièvre, / Et la sueur de l'agonie. / Pour moi, Flores, quatre balles / Au creux du petit matin. / Manuel Flores va mourir / Et bientôt viendra l'oubli. / Le sage Merlin l'a dit / Mourir est un don de naissance.»

Borges n'a pas fait qu'écrire les paroles de ce chant funèbre. L'auteur de Fictions, de l'Histoire universell