«La caméra surplombe de très bas la table d'un festin. Notre regard avance lentement au ras de cette table. Nous voyons au passage des statues de femmes nues, des épluchures, des cierges fondus, des cadavres de bêtes, des perruques, des cornes, un potage qui frémit comme un philtre de sorcière, des plumes, une couronne, des fruits. Il y a là un désordre de noirs et de blancs qui n'est que le désordre d'objets qui peuvent se trouver naturellement sur la table d'un festin à la cour de Russie, et cependant nous avançons dans un cauchemar, dans un paysage halluciné d'injustices et de tortures. La caméra avance lentement au bout de la table, s'élève d'un mouvement presque imperceptible, et voilà qu'elle recule, cette fois nous voyons, de chaque côté de la table, les convives, assis entre des statues, presque immobiles, absolument silencieux, les vivants sont morts, on n'entend que le faible son d'un violon jouant un air tzigane, rien n'a été dit et pourtant, en un seul plan, tout vient d'être dit sur les palais des tsars.»
«Images de rien». Ainsi Michel Cournot rend-il compte, au chapitre l'Impératrice (1), des valeurs obscures ordonnancées par Josef von Sternberg : par la simple beauté d'une énumération, il restitue un cauchemar, le chaos. Mais l'on devrait citer aussi sa description de la nuit tombant au bord du Pacifique filmée par un Minnelli capturant ensuite le blanc du matin et ces «images de l'âme, images de rien, par lesquelles un grand cinéaste tire, brassée par brassée,