Peu avant la Révolution française se développa le goût de la ruine. Peintures, gravures, dessins et poésies s'emparèrent du spectacle lamentable mais sublime des palais, des temples, des ponts et des maisons devenus, au fil du temps, des fragments ou de fragiles dentelles de pierre rejoignant paisiblement l'état de nature. Le monument devenait paysage prémonitoire et enflammait les sens. La photographie, puis le cinéma, allaient un jour filmer ces ruines. Mais aujourd'hui ces images sont à leur tour des ruines.
Alors, comme le peintre Hubert Robert, au XVIIIe siècle, avait fait des ruines son sujet de prédilection, l'Américain Bill Morrison, né en 1965, a saisi les images ruinées du film, de tous les films, des anonymes des années 10 aux séries B des années 40. Le moment n'était pas si mal choisi puisque, depuis le 11 septembre 2001, règne désormais en Amérique, l'angoisse ou le fantasme de l'effondrement.
Des derviches tourneurs qui ondoient. Un laboratoire de cinéma et sa mécanique des fluides en pleine action. Un cratère. Un papillon. Des soldats antiques. Une procession de chameaux. Un rescapé de la noyade. Un baptême d'adulte en Inde... Ces séquences cinématographiques, et bien d'autres, composent le paysage halluciné, noir et blanc mais surtout gris du Decasia de Bill Morrison. Il a pris ces images au cours de la détérioration progressive de leur pellicule nitrate («bulles», pets, explosions plastiques et corruptions en tous genres).
La moitié environ des 21 000 films fai