De Phnom Penh, peut-on garder une autre image que celle de la capitale du Cambodge vidée de ses habitants par les Khmers rouges qui en firent à jamais l'antichambre de l'enfer du génocide? Rithy Panh, né à Phnom Penh, avait 11 ans le 17 avril 1975 et faisait partie des deux millions de citadins chassés de ce qui pour lui avait été un paradis. Quand il parle de sa ville, où il n'est retourné que fin 1990, après quinze années d'horreur puis d'exil, ce sont des images d'«avant» la chute et la terreur qui remontent les premières à la surface de sa voix douce et chantante.
«Phnom Penh, c'est pour moi d'abord quelque chose de très nostalgique, des bribes d'images. Je suis né dans la banlieue, sur la route de l'aéroport de Pochentong. J'ai toujours associé la ville à ma famille et aux voisins. Dans mes souvenirs, on est souvent les uns chez les autres, on va déjeuner chez des gens, puis on part chez un autre voisin. C'est comme une grande famille, on est tous cousins dans le quartier. Surtout, j'ai le souvenir des nuages qui viennent et qui obscurcissent le ciel tout à coup, et l'averse on se baigne sous la pluie, on patauge dans les rigoles, la rue est inondée... C'était notre piscine, la rue. Phnom Penh est très lié à l'eau, à la pluie. Et à la rencontre des fleuves. D'un seul coup, à Phnom Penh, le Mékong part en quatre bras. Vous avez quatre fleuves, quatre visages. Et tous les six mois, ce fleuve se met à couler en sens inverse. Dès qu'on voit les arbres qui flottent en sens