«Je ne tourne qu'en noir et blanc, car on ne peut pas voir le visage de la mort avec des joues roses.» A Saint-Pétersbourg, dans les plus vieux studios de Russie, ceux de Lenfilm, où il a fait ses débuts en 1965, Alexeï Guerman travaille depuis déjà quatre ans à son nouveau film avec le souci du détail qui le caractérise. Tout a son importance, la place de l'écuelle, d'où sort une méchante cuillère, la manière dont tourne autour du poteau le bras de l'acteur, aussi malléable sous la volonté du maître qu'une pâte à modeler. Sombre, voire sinistre, le décor de cette fable moyenâgeuse, dominé par la statue du chevalier noir en armure, flanquerait la déprime aux plus incorrigibles optimistes. Dans cette allégorie sur la dictature au titre très peu évocateur de Ce qu'a dit le vendeur de tabac, la mort est partout. Dans ce village du XIVe siècle terrorisé par les Chevaliers noirs, sur le visage transpercé par une flèche de l'héroïne, puis dans le bras du héros, dernier des purs ou fils bâtard de Dieu, qui prend l'épée pour se venger et déclenche à son tour une hécatombe sans pareille.
Victime dépecée. On chercherait en vain dans la personnalité du cinéaste les raisons d'une telle obsession de la violence. L'homme au physique de géant est d'une rare douceur, même lorsqu'il explique avec une véritable jubilation comment il a appris d'anciens gardiens et prisonniers les techniques de viol auxquelles il a soumis son général déchu dans Khroustaliov, ma voiture!, un film