On peut tirer de la disparition d'Elia Kazan une première leçon : la faute qui a pesé sur sa vie a lourdement pesé sur sa mort aussi. Il y a comme une réaction unanime à l'annonce de son trépas : chez chacun de nous, c'est d'abord l'image de cette faute qui surgit. Ce n'est pas une image parasite. Elle ne vient pas s'interposer entre la réalité et la perception que nous en avons, elle ne fait pas écran, elle ne déforme pas le souvenir de Kazan : elle lui est consubstantielle et elle le définit.
Les films viennent ensuite, même les plus beaux, c'est-à-dire ceux qu'il a tournés après son ineffaçable trahison. Et ces films suscitent souvent un sentiment exactement contradictoire du premier : ils soulèvent un immense respect. C'est le mot en tout cas choisi par Steven Spielberg pour expliquer pourquoi, lors de l'oscar d'honneur reçu par Kazan, il s'était abstenu d'applaudir : «Je n'applaudis pas car je ne lui pardonne pas ce qu'il a fait. Il a mal agi. Mais j'admire ses films et je respecte le cinéaste.»
Il n'y a sans doute pas mieux habilité, d'un point de vue hollywoodien, que Steven Spielberg pour tracer la ligne de partage entre ce qui est le bien et ce qui est le mal, surtout lorsque cette ligne traverse un homme, dont elle départage le cinéaste. Il faut toute la légitimité de l'exemplaire Spielberg, démocrate galonné, mémorialiste de l'Holocauste, citoyen vertueux et père multi-adoptif pour revendiquer clairement ce droit moral du cinéphile à aimer les films d'un homme impar