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Libération
Critique

L'effet «Elephant»

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Palme d'or à Cannes, le film de Gus Van Sant développe à partir d'un fait divers (la tuerie au lycée de Columbine) un dédale d'hypothèses empreint d'humanité.
publié le 22 octobre 2003 à 1h30

Première puissance d'Elephant : sa nationalité n'est pas un nationalisme. Il fait plutôt l'effet d'une plate-forme de forage au milieu d'un désert océanique, hors de toutes eaux territoriales. Sous le blindage d'une société singulière (les Etats-Unis), par-delà le microcosme d'une journée vaseuse dans un lycée quelconque, Gus Van Sant creuse jusqu'à atteindre des strates immémoriales. De ce magma matriciel, c'est de l'énergie fossile qui jaillit. Il ne s'agit pas d'arracher les racines du mal mais d'en faire la généalogie. Ce qui serait déjà beaucoup pour un seul film si sa façon n'était pas philosophique.

Plutôt que théoriser ce que l'on sait déjà (le massacre du lycée de Columbine, fait divers qui, en 1999, bouleversa les Américains), Elephant entreprend de savoir comment, et jusqu'où, il est possible de filmer l'impensable. En l'espèce, un carnage sans raison fomenté par deux adolescents imperceptibles, qui plus est dans une école civilisée autorisant toutes sortes d'activités d'éveil, y compris celles qui consistent à glander ou à débattre de n'importe quoi. Ce qui ne veut pas dire que Gus Van Sant gare son Elephant sur le parking des poids lourds. Le film ne dit pas que ces jeunes assassins sont monstrueux. Mais il ne les disculpe pas pour autant du côté des saints innocents. L'héroïsation n'est pas son fort. L'hystérie non plus. Il n'est pas indifférent cependant, avec cette sorte de détachement savant qui transformerait le film en laboratoire et les personnages en rats