Rue des Bergeronettes habite le plus grand philosophe vivant. C'est à Ris-Orangis, une maison comme les autres : pavillon avec jardin, un bureau empli de livres sous la verrière, où une équipe d'universitaires californien(ne)s a suivi Jacques Derrida plusieurs mois dans son quotidien. Munis d'une caméra et d'un Nagra pour le son. Derrida, les désignant à ses étudiants, parle d'un «appareil d'enregistrement vidéo-cinématographique» et d'une «machine-machination».
«Jacky». Pour enregistrer, elle enregistre, et la machination est parfaite : on voit le chat du philosophe, le fax crépitant, le café du matin et la tartine au miel, et surtout Derrida au travail de la pensée. C'est sidérant car la pensée s'imprime sur tout, les objets, les mots, les affects. Sa soeur, son beau-frère l'appellent «Jacky», et sa façon de réfléchir à voix haute, d'énoncer le raisonnement philosophique en oeuvre, a fait le tour du monde. Voici un film sur l'intelligence, qui la déshabille en quelque sorte, parti pris people assumé, creusant en profondeur le philosophe en exploitant ce qu'il nomme sa «tentation de vieux Narcisse».
Derrida commence par y être longuement coiffé. On suivra sa crinière blanche emblématique dans les universités américaines, sud-africaines, parisiennes. Il explique aussi que «quand je suis seul à la maison, je ne m'habille pas, je reste en pyjama toute la journée».
Le qui et le quoi. Quand Derrida parle d'amour, il révèle le fonctionnement de son verbe. Jacques et Marguerite racon