Dans sa biographie de Ludwig Wittgenstein, Norman Malcolm rapporte que quand l'université Harvard invita le célèbre professeur, basé à Cambridge en Angleterre, au début des années 40, elle accompagna son invite d'une question accorte : qu'est-ce qui vous ferait plaisir lors de ce séjour aux Etats-Unis ? Wittgenstein aurait répondu : «Rencontrer Carmen Miranda.» C'est-à-dire la bombe brésilienne de moult comédies musicales tropicales, qui enturbannait sa tête d'échafaudages de passementeries, plumes, voire ananas frais et perroquet vivant, sans pour autant cesser de danser, chanter et sourire. L'anecdote, qui en dit long sur la folie qui habitait Wittgenstein, ne serait que drolatique si elle ne posait une autre question : la philosophie peut-elle produire des concepts sur ce qui est réputé impensable ? En l'espèce, la comédie musicale hollywoodienne et, plus généralement, le cinéma ? Non pas qu'il faille imaginer que Carmen Miranda eut une influence décisive sur l'oeuvre de Wittgenstein mais suggérer qu'elle pourrait en être la muse amusante.
Pragmatisme. La philosophie est autant un mouvement d'humour qu'un geste de pensée. En France, jusqu'à Gilles Deleuze, le cinéma a souffert d'une mésestimation par la philosophie. Et on a vu récemment, à propos de Matrix, qu'il suffit que des philosophes s'intéressent à un film américain pour qu'aussitôt se lève une réaction syndicale sur l'air de «pas touche à l'impur». Aux Etats-Unis, la philosophie semble plus pragmatique. Pour preuve