Ça se passe en banlieue. «Quand je suis allée au casting, je m'attendais au blabla habituel : les tournantes, les grands frères acharnés sur les filles de la famille, la délinquance. Parfois, les jeunes sont montrés comme coupables. Parfois comme victimes. C'est la seule variation. Finalement ça ne fait pas une si grande différence.» Sabrina Ouazani a 15 ans, une jeune fille simple et douce. Elle aurait pu refuser un rôle dans un film comme ça. «S'il avait donné une trop mauvaise image de mon chez-moi, la Courneuve, j'aurais hésité. Peut-être.» C'est sa mère qui a envoyé sa photo pour l'Esquive.
Pendant vingt-cinq ans, Abdellatif Kechiche, le réalisateur, a joué les Arabes de service du cinéma français, «le garçon qui cogne sa soeur parce qu'elle ne veut pas épouser le cousin ». Donc, l'Esquive, ça se passe en banlieue mais pas la banlieue comme la banlieue : là, une collégienne chamboule la cité des Francs-Moisins en répétant les Jeux de l'amour et du hasard pour la fête de l'école. Marivaux ? «Chez Marivaux, les valets ou les paysans tiennent non seulement des rôles à part entière dans l'intrigue mais ils éprouvent des sentiments nuancés, intimes, dit Kechiche. Leur fonction sociale ne suffit plus à les définir : ils accèdent au rang d'hommes ou de femmes, à la fois complexe et universel. Il y a davantage d'audace dans cette représentation des "petites gens" que dans celles des minorités aujourd'hui.»
«Déformation». Pour Kechiche, faire jouer Marivaux à des gamins de 15 ans