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Libération

Dix ans après, un pays hanté par le souvenir des massacres

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On découvre encore des charniers, le travail de mémoire et d'explication du génocide commence à peine: le temps de la fiction est-il vraiment venu ?
publié le 18 février 2004 à 23h10

Trop tôt ou trop tard. Peut-on faire un film sur le génocide rwandais ? Dix ans seulement se sont écoulés depuis ce trou noir de la deuxième moitié du XXe siècle, ces cent jours durant lesquels furent massacrés aussi artisanalement que méthodiquement quelque 800 000 Tutsis et Hutus «modérés». Une décennie, c'est aussi le temps qui avait séparé Nuit et brouillard de la Shoah. Mais l'opus d'Alain Resnais est longtemps resté isolé. Ce n'est que dans les années 70 qu'on a vu ressurgir l'holocauste juif à travers la série télévisée éponyme et les films évoquant Vichy. Encore une décennie et c'est le Shoah de Claude Lanzmann. Il a fallu attendre les années 90 pour que Hollywood (la Liste de Schindler), voire un comique (la Vie est belle de Benigni) s'emparent du sujet.

A une époque où tout est aussitôt avalé, digéré, transformé en «chair à fiction» par l'industrie audiovisuelle, il était normal que le génocide rwandais n'échappe pas au cinéma. Ce qui l'est moins, c'est que la fiction précède le documentaire. Ce génocide est encore un mystère, un véritable «impensé». Alors que l'on découvre encore régulièrement des charniers au pays des Mille Collines, que la parole des rescapés n'a bien souvent jamais été dite ou entendue, que certains coupables commencent seulement à reconnaître le crime, le temps de la fiction est-il vraiment venu ? Est-ce déjà le moment de faire «rejouer» le génocide à ceux qui l'ont vécu dans leur chair et sur les lieux mêmes du drame, comme le fait Raoul Peck