Le Moindre Geste est un film d'une parfaite évidence et cependant il est le produit d'une invraisemblable série d'initiatives isolées et de passages de témoin, une succession d'avènements et d'occultations, de réceptions contrariées en culte sous-terrain. On peut découper et raconter cette aventure en trois temps qui voit s'accomplir la dispersion de l'auteur tout-puissant au profit d'un collectif de solitudes passionnées.
Les Cévennes 1962-1964
Pédagogue, écrivain, chercheur, Fernand Deligny (1913-1996), né dans la banlieue lilloise, orphelin de guerre, ex-instituteur, résistant, avait fondé en 1948 la Grande Cordée, association spécialisée dans l'hébergement d'enfants délinquants et/ou caractériels, souvent atteints de troubles psychotiques. A partir de 1953, il s'installe dans différents lieux en pleine campagne, notamment dans les Cévennes où il poursuit ses recherches libertaires dans des communautés ouvertes où coexistent éducateurs et ceux que l'on nomme alors «anormaux» ou «débiles profonds». Parmi les activités quotidiennes (dessin, bricolage, travail avec les animaux, etc.), l'idée germe de tourner un film.
Deligny est cinéphile, il a animé des ciné-clubs militants. Il a des opinions radicales : «... le cinéma, c'est venir en aide à tous ces couillons qui croient voir, alors qu'ils voient que dalle, ils ne voient rien». A ses côtés depuis les débuts, Josée Manenti est une jeune fille d'industriel qui a rompu les amarres. Enfant, elle adore Chaplin. Après-guerre, elle