Arnaud Desplechin, 44 ans, ébouriffé, enfoncé dans un fauteuil, parle d'une voix à peine audible, comme s'il «n'avait pas voulu muer». Emmanuelle Devos, 40 ans, les cheveux ramenés en arrière en chignon, posée sur un canapé, le menton haut, parle distinctement. Elle rit souvent, lui parfois. Il a réalisé six films depuis la Vie des morts, en 1990, le moyen métrage qui l'a lancée. Elle a tourné dans quasiment tous, il suit sa carrière avec «l'attention d'un grand frère». Ils dialoguent sur Rois & reine, son film le plus profond et le plus accompli.
Qu'est-ce que vous vous trouvez pour travailler ensemble depuis quinze ans ?
Emmanuelle Devos : On ne se voit pas souvent, mais on s'écrit des lettres. Quand je fais un film, quand j'ai une naissance, un malheur. Il m'envoie des livres, des poèmes, Yeats récemment.
Arnaud Desplechin : Elle me dit les livres que je dois lire, elle me fait des listes.
E.D. : Depuis Rois & reine, j'ai moins peur d'appeler Arnaud ; il m'a toujours intimidée. Il y avait une distance, de la pudeur.
A.D. : C'est que je suis souvent à la traîne. Je travaille longtemps sur mes scénarios, mes montages, des mois d'immersion. Alors je m'isole, et après je n'ose plus, je n'appelle pas trop, je ne vois pas grand-monde. Mais j'ai toujours été fidèle, et Emmanuelle présente.
E.D. : Parfois au dernier moment, comme pour Esther Kahn et le rôle de la fière Italienne. Il m'a appelée quatre jours avant...
A.D. :... «Je ne trouve personne pour jouer Silvia. J'ai fait les Itali